Résumé du livre d’Alexandro Jodorowsky « Le théâtre de la guérison »
L’acte poétique
La première chose qui me soit venue en aide, c’est la poésie, mes contacts avec les poètes. Dans les années 50, au Chili, on vivait poétiquement comme nulle part au monde. Vivre en poète c’est ne pas craindre, oser se donner, avoir l’audace de vivre avec une certaine démesure. Nous avions des poètes d’une importance capitale : Neruda, Vicente Huidobro, Gabriela Mistral et Pablo de Rokha. Ils étaient vivants. Ces gens s’exposaient, ils n’avaient pas peur de vivre leur passion. Nous baignions dans la poésie du matin soir. Tous ces poètes se livraient à des actes : ils avaient commencé à sortir de la littérature pour participer aux actes de la vie quotidienne avec le parti pris esthétique et rebelle propre aux poètes. La poésie est un acte.
Par exemple, un ami et moi avions un jour décidé de toujours marcher droit, sans jamais dévier. Nous marchions sur une avenue et arrivions devant un arbre : au lieu de le contourner, nous grimpions en haut de l’arbre pour y continuer la conversation. Si voiture se trouvait sur notre chemin, nous montions sur elle, marchant sur le toit. Je me souviens avoir sonné à une porte et expliqué à la dame que nous étions des poètes en pleine action et que devions donc traverser sa maison. Ella a très bien compris et nous a fait sortir par la porte de derrière. À des actes très innocents et non moins puissants comme celui de mettre dans la main du contrôleur venant réclamer notre ticket de bus un beau coquillage…
Ces actes les secouaient, les obligeaient à s’ouvrir… La vie est ainsi, totalement imprévisible. Vous croyez que votre journée va se dérouler de telle ou telle manière : en fait vous pouvait être écrasé par un camion, rencontrer une de vos anciennes maîtresses et l’emmener faire l’amour, recevoir votre plafond sur la tête pendant que vous travaillez… Nos actes de jeunes poètes fous ne faisaient que mettre cela en évidence.
Tout cela se passait au Chili, dans ce pays en proie à une forme de folie collective. La fête était partout, Le pays tout entier était surréaliste sans le savoir. Au Chili, la terre tremblait tous les six jours. Nous n’habitions pas un monde massif régi par un ordre bourgeois soi-disant bien implanté mais un réel tremblotant. Rien n’était figé, tout tremblait. Chacun vivait dans la précarité sur le plan matériel comme sur le plan relationnel. Cette période ne m’en a pas moins enseigner à percevoir la folle créativité de l’existence et à ne pas m’identifier aux limites dans lesquelles la plupart des gens s’enferment jusqu’à en crever. La plupart du temps, les gens se contentent de petits actes minables, jusqu’au jour où ils craquent… Si un criminel en puissance connaissait l’acte politique, il sublimerait son geste meurtrier en mettant en scène un acte équivalent. L’acte poétique permet d’exprimer les énergies d’ordinaire refoulées ou dormantes en nous et aller dans le sens de la construction et non de la destruction. L’acte poétique doit toujours être positif. … le choc causé par l’acte doit être positif.
L’acte théâtral
L’amour de l’acte m’a amené à créer des objets, entre autres des marionnettes. Cette relation si profonde avec les marionnettes à fait naître le désir de devenir moi-même une marionnette, autrement dit un acteur de théâtre. J’avais plutôt envie d’assister à un acte théâtral qui n’avait rien à voir avec la littérature. Pourquoi s’appuyer sur un texte dit théâtral, sur une pièce ? Tout peut-être jouer, mis en scène. J’ai donc commencé à faire l’expérience d’une liberté croissante. Puis est venue l’idée que le théâtre pouvait se passer de spectateurs et ne devraient comporter que des acteurs. J’ai donc organisé de grandes fêtes dans lesquelles tout le monde pouvait jouer. Enfin, il m’est apparu qu’interpréter un personnage était inutile. L’acteur doit tenter d’interpréter son propre mystère, d’extérioriser ce qu’il porte en lui.
Le théâtre m’intéressait en tant qu’outil de connaissance de soi. Bien des gens portent en eux un acte que les conditions ordinaires ne permettent pas d’accomplir. Si je vous demandais à brûle-pourpoint. : « Quel acte aimeriez-vous accomplir en public ? », je suis certain qu’une réponse viendrait immédiatement et que si je réunissais les conditions propices à l’accomplissement de ce geste, vous seriez ravi de jouer le jeu.
L’acte implique que l’on renoue avec ce qu’il y a en nous d’obscur et de violent, d’inavouables et de refoulé. Quelque positif qu’il puisse enfin de compte s’avérer, tout acte va nécessairement charrier de la négativité. L’important est que ces énergies destructrices qui, de toute façon, lorsqu’elles demeurent stagnantes, nous grignotent de l’intérieur, puissent être mise à jour dans une expression canalisée et transformatrice. L’alchimie de l’acte réussie transmute les ténèbres en lumière.
De telles expériences ont une valeur initiatique. Je voulais m’exposer, mettre en jeu la vie, la mort, la folie, la sagesse. Je voulais procéder à une autre le but du théâtre : provoquer des accidents. Les seules traces qu’il laissera seront gravées à l’intérieur des êtres humains et se manifesteront par des changements psychologiques.
J’ai commencé à pratiquer le théâtre conseil. Nous nous identifions un personnage qui n’est une caricature de notre identité profonde. Notre auto-conception. Notre égo n’est jamais qu’une pâle copie, une approximation de notre être essentiel. Nous identifions ce double aussi dérisoire qu’illusoire. Et soudain, l’original apparait. En tant qu’humain identifié à notre double, nous devons comprendre que l’inquiétant envahisseur n‘est autre que nous-mêmes. Puisque nous vivons enfermés dans ce que j’appelle notre auto-conception, l’idée que nous avons de nous-même, pourquoi n’adopterions-nous pas un tout autre point de vue ? Par exemple, demain, vous serez Rimbaud. C’est en tant que Rimbaud que vous vous réveillerez et vous vous laverez les dents. Vous parviendrez à être un auteur-acteur-spectateur, vous produisant non pas dans un théâtre mais dans la vie. Un programme destiné à casser le personnage auquel ils s’étaient identifiés pour les aider à retrouver leur identité profonde.
De metteur en scène, j’étais devenu conseiller théâtral, donnant aux gens des directives destinées aux gens pour prendre leur place en tant que personnage dans la comédie de l’existence. Pourquoi un athée lassé de son incroyance ne commencerait-il pas à imiter un saint ?
L’acte onirique
L’interprétation de rêves est une pratique vieille comme le monde. Dans le rêve lucide, on sait qu’on est en train de rêver et cette conscience donne la possibilité de travailler sur le contenu du songe. Je me dis : peut-être que je suis en train de rêver… si je rêve, il est possible de voler…. Je décide de profiter de cette expérience pour bien voler, non pas me regarder voler mais me sentir voler.
Dans mon cahier de rêve, j’écris le commentaire suivant : je crois que le moment est venu de me décider à aller plus loin dans le rêve lucide. Prendre des risques. J’ai encore peur de mourir, je n’ose pas. J’aurais dû me plonger dans l’inconscient jusqu’à trouver le dieu intérieur, avoir confiance en lui… j’aurais dû prendre en chasse les gnomes, leur faire face, leur parler sans que leurs moqueries me perturbent, entrer en relation avec eux, connaître leurs secrets. J’aurais dû créer des mondes, traverser la mort, aller au centre de mon être, vaincre les monstres et terreurs… J’espère me montrer plus audacieux la prochaine fois et dominer la peur. Je dois aussi trouver des alliés et les accepter, ne pas toujours faire le travail seul…
La dimension initiatique de ces expériences réside dans le fait que dès que je commençais à faire l’amour avec toutes les femmes animales, le désir me happait, si bien que je perdais la lucidité et que le rêve échappait à mon contrôle. Idem pour la richesse. Dès que la fascination de l’argent me happait, mon rêve cessait d’être lucide. J’ai compris que dans la vie comme dans le rêve, pour rester lucide, il fallait rester détaché, agir sans être identifié à l’action. Voilà un vieux principe spirituel que le rêve lucide m’a rappelé l’importance. Le désir et la peur sont les deux faces de notre identification. Ce qui me fait peur perd tout pouvoir sur nous dès lors que nous lâchons prise. Notre peur alimente l’inimité de l’adversaire, tandis que notre volonté de lui faire face avec amour le désarme, voire le retourne complètement.
J’insiste donc sur le fait que j’ai passé mon existence à me parfaire, à me connaître, à me rendre intérieurement disponible. Il importe de ne jamais perdre de vue toute la discipline sans laquelle cette approche de l’existence ne serait qu’une illusion. La vie n’est pas là pour satisfaire le désir du premier paresseux venu ! Elle ne nous comble que dans la mesure où l’on s’abandonne à elle et où l’on s’efforce de dépasser son égocentrisme. Le grand enseignement du rêve lucide réside dans cette exigence de lucidité : hors de la lucidité, rien n’est possible. Dans le rêve comme dans la vie diurne, les mêmes lois sont à l’œuvre : plus on est détaché, plus l’on jouit de l’existence perçue comme une vaste cour de récréation. Moins on est détaché, plus la vie devient une impasse.
A l’époque, j’avais l’habitude, avant de m’endormir, de passer en revue tous les événements de la journée. Je me la repassais comme un film, d’abord du début à la fin puis à l’envers. C’est pratique la marche arrière avec pour effet de me désidentifier des péripéties du jour. Je me trouvais alors en état de détachement. La réalité ainsi captée revêtait les mêmes qualités qu’un rêve lucide. C’est alors que j’ai vu à quel point, comme tout le monde, je rêvais ma vie ! Passer ma journée en revue le soir équivalait à me souvenir de mes rêves du matin. Le seul fait de me souvenir d’un rêve, c’est déjà l’organiser.
Puisque nous rêvons notre vie autant l’interpréter et découvrir ce qu’elle cherche à dire, les messages qu’elle veut me transmettre, jusqu’à la transformer en rêve le lucide. Pour pouvoir s’amuser à agir, dans le rêve nocturne comme dans ce rêve diurne que nous appelons notre vie, il faut être de moins en moins impliqué.
A quoi bon vivre avec ses rêves et faire un effort de lucidité sinon pour s’acheminer vers la sagesse ? La réalité est un songe sur lequel nous devons travailler afin de passer progressivement du rêve inconscient à ce que j’ai appelé le rêve sage.
S’éveiller, c’est arrêter de rêver, autrement dit, disparaître de cet univers onirique pour devenir celui qui le rêve.
L’acte magique
La sorcellerie fait partie de la vie mexicaine. Je me suis inspiré des pratiques de magie noire au Mexique. J’ai voulu inverser le processus si l’on peut faire du mal à distance, Pourquoi ne pourrait-on pas faire le bien un ami m’a parlé de la fameuse Pachita, petite bonne femme de 80 ans que les gens venaient consulter de très loin. Cette bonne femme était le plus grand prestidigitateur de tous les temps ! Et quelle psychologue. Grâce à elle, j’ai compris que toute personne est un enfant, parfois un adolescent. Dès que l’on sentait sur soit les mains de cette vieille femme, elle nous apparaissait comme la mère universelle et il n’y avait plus moyen de lui résister. Mes résistances fondaient comme neige au soleil. Pachita savait qu’en l’adulte, même affirmé, sommeille un enfant avide d’être aimé et qu’une certaine manière de toucher ferait bien plus que des paroles. La psychomagie entrainait les gens dans une démarche bizarre destinée à les réconcilier avec un aspect d’eux-mêmes. Sa contribution à la psychomagie était aussi simple essentielle : en l’observant, j’ai découvert que lorsque que l’on fait mine d’opérer, le corps humain réagi comme s’il avait subi une véritable intervention. Pachita était avant tout une experte en communication symbolique. Pour elle, rien n’est anodin, le monde était vraiment une forêt de symboles en constante interaction. C’est à son contact que je me suis ouvert aux langages des objets, à la signification que revêtent les cadeaux…
Jamais je n’ai envisagé de recevoir le don de Pachita pour devenir guérisseur à mon tour. Mais je me trouvais en mesure de véritablement apprendre de cette femme quelque chose que je pourrais ensuite réutiliser dans mon contexte. S’adresser à l’inconscient directement et dans sa propre langue, en passant soit par des mots, soit par des objets, soit par des actes. Il n’est pas rare que je demande à ceux qui viennent me consulter de prendre des bains, de procéder à certains lavements, car je sais que cet acte en apparence anodin influera grandement sur leur psychologie, et les mettra dans des dispositions différentes. Si quelqu’un appréhende d’aller parler avec sa mère, je lui suggère de se rincer 7 fois la bouche avant l’entretien et de s’emplir les poches de lavande. Ce n’est qu’un exemple de principe universel de l’acte magique que je reprends pour les utiliser dans l’acte psycho magique autrement dit dans une démarche thérapeutique.
L’acte psychomagique
Si vous consulter un médecin et que vous ne vous donnez pas la peine de prendre le médicament prescrit sur l’ordonnance, comment pourrez-vous ensuite vous prononcer sur l’efficacité de son traitement ? Si Pachita préconise un acte quelconque, la personne y croit et l’accomplit sans chercher à comprendre. Je suis passé à l’acte psychomagique car je constaté que tous les problèmes aboutissaient à l’arbre généalogique. Entrer dans les difficultés d’une personne, c’est entrer dans sa famille, pénétrer l’atmosphère psychologie de son milieu familial. Nombre de gens plaque sur leurs être une personnalité qui n’est pas la leur mais qu’ils ont emprunté à un ou plusieurs membres de leur environnement affectif. Naitre dans une famille, c’est, pour ainsi dire, être possédé. Cette possession se transmet en général de génération en génération : l’ensorcelée devient ensorceleur en projetant sur ses enfants ce qu’on a projeté sur lui… à moins qu’une prise de conscience vienne briser ce cercle vicieux. Une prise de conscience qui n’est pas suivie d’un acte ne sert à rien. Pour que les prises de conscience ne demeurent pas inopérantes, il me fallait faire agir l’autre, l’amener à commettre un acte bien précis sans pour autant le prendre en charge ou assumer un rôle de guide quant à l’ensemble de sa vie. Une familiarisation avec le terrain psycho-affectif de la personne m’est apparu comme préalable à toute ordonnance d’un acte psychologique. Vous passez un contrat avec la personne… cet accord mutuel est de la plus haute importance. Tout d’abord, la personne s’engage à dire l’acte de la manière exacte dont je lui ai prescrit, sans en changer un iota. Une fois l’acte accompli, elle doit me renvoyer une lettre dans laquelle elle transcrit les instructions reçues de moi, ensuite, elle me raconte dans le détail la façon dont elle les a appliquées et me décrit les résultats obtenus.
J’ai appris à me désidentifier de moi-même si bien que lorsque je dispense un conseil, ce n’est pas à moi qui parle mais mon inconscient. En tant que psychomotricien, je ne cherche qu’à faire le bien. A mes patients, je ne demande pas leur argent mais leurs efforts. Leur volonté de changer constitue ma rétribution. Je suis un créateur touché par la souffrance des êtres et qui a voulu toute sa vie servir la beauté qui rend libre. La psychomagie fait partie de ce que j’ai en moi de meilleur.
L’essentiel est de s’accepter soi-même. Je ne gémis plus sous prétexte que je devrais être plus sain, plus beau, plus pur que je ne le suis ici et maintenant. Quand je suis blanc, je suis blanc, quand je suis obscur, je suis obscur, voilà tout. Cela ne m’empêche pas de travailler sur moi, de chercher à devenir un meilleur instrument : cette acceptation de soi-même n’étouffe pas l’inspiration, elle l’enracine. Ce n’est en effet qu’à partir de ce que je suis vraiment que je peux avancer.
L’imagination au pouvoir
L’imagination active est la clé d’une vision élargie, elle permet d’envisager la vie selon des points de vue qui ne sont pas les nôtres, de penser et de ressentir à partir de différents endroits. Voilà la vraie liberté : être capable de sortir de soi, franchir les limites de son petit monde pour s’ouvrir à l’univers. La puissance thérapeutique de l’imagination est infinie.
Laurence de Vestel – Octobre 2019 ©Oltome.com
« Le théâtre de la guérison » d’Alexandro Jodorowsky est à nouveau un livre passionnant à lire. On rentre dans un univers qui ne nous est pas familier mais oh combien surprenant. Un périple magique et fascinant, celui même de la vie de Jodorowsky. A ne pas rater !
Alexandro Jodorowsky nous entraîne, tout au long de ce dialogue avec Gilles Farcet, dans un périple magique, qui est celui même de sa vie. A partir de ses multiples expériences, Alexandro Jodorowsky a développé une véritable psychothérapie de groupe où « jeu » et « je » se répondent pour délier les noeuds enfouis dans l’inconscient. En soulignant le pouvoir de guérison propre à l’imagination, il nous révèle ici les secrets d’un parcours dédié à la recherche d’une authenticité intérieure enfin vécue.