Résumé du livre de Jacqueline Kelen « Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien
Evangile selon Saint Luc
« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Père , donne-moi la part de fortune qui me revient. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après le plus jeune fils, rassemblant tout son avoir, partit pour un pays lointain et y dissipa son bien dans une vie de prodigue.
Quand il eut tout dépensé, une grande famine survient en ce pays et il commença à sentir la privation. Il alla se mettre au service d’un des habitants de la contrée, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, mis personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il se dit : Combien de journaliers de mon père ont du pain en abondance, et moi je suis ici à mourir de faim ! Je veux partir, retourner vers mon père et lui dire : Père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes journaliers. Il partit donc et s’en retourna vers son père.
Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut touché de la compassion : il courut se jeter à son cou et l’embrassa longuement. Le fils alors lui dit : Père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Vite, apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! Et ils se mirent à festoyer.
Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il fut près de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que cela signifiait. Celui-ci lui dit : C’est ton frère qui est de retour, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé. Il se mit alors en colère et refusa d’entrer. Son père sorti l’en prier. Mais il répondit à son père ; Voici tant d’années que je te sers, sans jamais avoir transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis et puis ton fils que voilà revient-il après avoir dévoré ton bien avec les femmes, tu fais tuer pour lui le veau gras !
Mais le père lui dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! »
Extraits :
Dans ce mythe revisité par Jacqueline Kelen, divers personnages prennent la parole tour à tour le fils, le père, la mère, le frère, le vieux serviteur et deux anges.
Le père : « Quels que soient son âge et sa capacité, chacun est appelé à faire croître et à embellir la maison : celle qui est visible et l’autre aussi, la demeure de Dieu. À celle-ci tous concourent à égalité. Celui qui balaie et dégage les gravats ne vaut pas moins que celui qui construit la charpente. Il n’est point de tâche méprisable pour ce qui est de vaquer à l’éternelle demeure »
Le père : « Mais ta part d’héritage, tu n’avais pas à la réclamer. Dès ta naissance elle t’était destinée : moins un sac d’or que mon amour pour toi et la bénédiction de Dieu. La part d’héritage réservée à tout être humain, que peu finalement revendiquent, consiste en cet incroyable et incommensurable amour que Dieu offre en son alliance. »
La mère : « Peut-on dire au printemps impétueux : non, attends, attends un peu, je t’en prie, ne viens pas répandre ta gracieuse folie sur les arbres, les pacages, les aubépines et le brebis, ne viens pas appeler l’ours endormi dans sa tanière, le grain de blé enfoui dans la terre ? Peut-on retenir le soleil dans sa course ?»
Le fils : « La marche donne des ailes, elle ouvre la poitrine, la pensée, le cœur, tout respire largement. Je me demande pourquoi les gens savants s’enferment pour réfléchir et rédiger d’austères traités. Certainement, ils recherchent le silence et ne veulent pas être distraits. Mais au grand air, au fil des pas, la pensée prend sa mesure, elle se confronte aux éléments, se bat, elle devient ample et vigoureuse. Le cerveau compliqué de l’homme a besoin de la marche et du sommeil, qui tous deux, le nettoient et l’apaisent. »
Le fils : « Assurément l’être humain est peu de chose, ses jours fanent aussi vite que l’herbe des champs. Mais doit-il faire obligatoirement l’expérience du dénuement total pour apprécier à sa juste valeur, à son immense valeur, une gorgée d’eau claire, une branche fleurie, la beauté d’un visage, le rire d’un enfant, l’aube douce ? »
Le père : « Mes deux fils, je les aimais d’un même amour même si leur comportement, leur caractère étaient très différents. La courbe n’est pas moins utile que la ligne droite et chacune possède sa beauté. »
Le père : « Ce bâton que j’ai béni revêt un prix bien plus important que ton pécule qui ne tardera pas à fondre. Maintenant que tu ne t’appuies plus sur mon expérience, que tu ne reçois plus mes conseils, écoute ce que dit le bois d’olivier, ne t’arrête pas sur le chemin, veille et marche, chante pour garder ta joie, fais jaillir des sources sous tes pas, fais éclore des étoiles dans la nuit, avance, c’est la seule façon de rester droit et libre, de garder l’équilibre souverain, persévère sur ton chemin et un matin le bâton fleurira. »
La mère : « Grâce à ton absence j’ai appris bien des choses. J’ai consenti au destin de toute mère qui est de laisser ses enfants suivre leur route, sans elle, parfois on se rebellant contre elle.… J’ai compris, cher fils, que tu ne m’avais pas abandonnée, c’est moi qui devais m’abandonner au cours des événements, aux voies impénétrables du Seigneur, à l’imprévisible grâce. »
Le Vieux serviteur : « Qui n’est jamais tombé ne connaîtra pas la fierté de se relever, la joie de repartir. La pire épreuve peut devenir une porte ouverte à l’intérieur de soi : on fait silence, on s’interroge, on avance vers la profondeur. »
Les chemins du céleste retour
Cette parabole enseigne que la démarche du repentir est supérieure à l’attitude impeccable des justes et que le Seigneur montre davantage d’égards et de tendresse envers ceux qui se sont égarés qu’envers les brebis restées sagement au bercail.
Une lecture qui privilégie le retour à la vraie demeure. Le plus important, c’est que le fils revienne. Le pays lointain désigne un lieu éloigné de la Source, il est lieu de la condition terrestre, de l’expérience. Se souvenant du monde la Lumière, le fils remonte vers son père après avoir failli se perdre.
De quoi s’est rendu coupable le Prodigue ? La véritable faute du héros n’est pas tant d’avoir dépensé toute sa fortune, d’avoir perdu son temps, gaspillé sa vie en futilités, d’avoir aimé ce monde, la vie, les femmes. Le grave péché qui a entraîné sa misère et sa désolation et dans lequel il aurait pu mourir, c’est d’avoir en ce pays lointain oublié d’où il venait. Un défi spirituel qui concerne chaque humain. Heureusement, il se réveille de son engourdissement et se rappelle la demeure de son père. Il « rentre alors en lui-même » pour aller vers son intériorité profonde. Là, il se souvient. Il n’a pas tout perdu puisque l’image et l’amour de son père restent en lui vivants puisque palpite son désir du retour.
Se repentir, c’est remonter la pente. Aussi, ne sert-il à rien de ressasser le passé, de remuer chagrins et regrets ou de s’apitoyer sur son compte : tout cela est encore centré sur soi. Le repentir est une énergie belle et joyeuse.
Ce qui éclate ici, ce qui seul suffit, c’est l’amour du père, c’est la miséricorde divine. L’amour véritable est pur don et non pardon. Ce qui compte pour le père, au désarroi du frère, c’est que tous les deux, malgré leur différence sont présents. C’est injuste uniquement lorsqu’on se compare à autrui et qu’on se dit lésé. Autant d’âmes, autant de chemins. « Tout ce qui est à moi est à toi ».
Le noble fils qu’on dit prodigue a échoué avec grâce, il a tout dépensé mais l’essentiel lui reste : l’amour du père, son Âme immortelle, la joie sans fin.
Il a tout dépensé mais n’a rien perdu.
Laurence de Vestel – ©Oltome.com 2021
Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien est un conte revisité par Jacqueline Kelen. On connaît la parabole du fils prodigue selon l’Evangile de Saint Luc. Jacqueline Kelen prolonge le récit pour que nous nous interrogions tour à tour sur le rôle de fils par rapport à l’injonction de liberté. Sur le rôle de père qui doit avoir foi en son fils et l’aimer quoi qu’il en coute. Sur celui du frère confronté à la comparaison, la jalousie, et l’injustice. Et à celui de la mère qui doit un jour accepter que son enfant grandisse. De très belles réflexions qui invitent à nous remettre en question qui que nous soyons.
Il y a le père, très pieux et empli de bonté, la mère, inquiète et tendre. Le frère aîné, sérieux, travailleur mais ombrageux. Un vieux serviteur compatissant. Et bien sûr le fils, un peu rebelle et la tête pleine de rêves, qui part explorer le monde et faire usage de sa liberté avec ce que cela implique de joies et de risques. Au fil de ces divers récits sont abordés l’amour humain et divin, l’absence et l’attente, les épreuves et la grâce, la justice et la réconciliation. Une parabole pour aujourd’hui. Une leçon pour les fils et pour les pères…