Résumé du livre de Bruno Latour
« Où suis-je ? »… pas facile de reconnaître où l’on se trouve après un si long confinement. Comme dans la nouvelle « La métamorphose » de Kafka, le héros se souvient qu’avant, il pouvait se déplacer innocemment en emportant son corps avec lui, et se demande soudainement s’il va se réveiller de ce cauchemar, et s’il va redevenir comme avant : libre intègre, mobile. Un humain à l’ancienne…
Il y a bien eu métamorphose, et il ne semble pas que l’on va revenir en arrière en s’éveillant de ce cauchemar. Nous ne savons pas où nous poser sans nous cracher, nous ne savons pas ce que nous allons devenir…
« Où suis-je ? » soupire celui qui se réveille insecte. En un certain sens, je suis toujours « chez moi… Comme dans la métamorphose de Kafka, ce qui nous rend la vie impossible est ce conflit de générations. L’avenir du héros, Grégor Samsa, dont le devenir-insecte préfigure le nôtre, s’oppose aux parents, qui sont restés confinés et claquemurés dans leur appartements, attachés à leur matérialité. Grégor devenu insecte, donc terrestre, se repère autrement que ses parents. Son intériorité s’étend jusqu’aux limites de la Terre. Avec le confinement, on a perdu l’ancienne liberté mais c’est pour en regagner une autre.
Tout se passe comme si le confinement imposé par le virus pouvait nous servir de modèle pour nous familiariser peu à peu avec le confinement généralisé imposé par la « crise » écologique. Il ne s’agit pas vraiment d’une crise, mais d’une mutation. La mutation se détecte à ceci que la politique ne suscite plus en nous les mêmes affections. Nous avons ressenti une suspicion généralisée sur l’intérêt de « repartir » comme avant sur la « voie du progrès ». Au lieu de chercher aussitôt la « reprise », il semble que nous sommes nombreux à avoir ressenti les risques courus par la genèse de toutes les formes de vie. La question est revenue brusquement dans les chaumières : « sur quelle terre vais-je bien pouvoir vivre, moi et mes dépendants ? ». Comment comprendre autrement ces formes nouvelles d’intérêt pour le sol, la terre, le local qui auraient paru réactionnaires il y a dix ans. Tout le monde « réagit » en effet de mille façons à la même inquiétude par mille symptômes différents. Comme si le cœur de la vie publique était bel et bien occupé par une question de reprise… cette fois-ci, existentielle. Il est temps d’atterrir pour de bon sur cette terre, dont on avait cherché à décoller, et qui ne sera la plus même.
La pandémie dont on finira bien par sortir, ne fait que préfigurer une situation nouvelle dont vous ne sortirez pas. Les terrestres se reconnaissent comme ceux qui se trouvent tous dans le même bateau. D’un côté , on se sent prisonnier, de l’autre, on se sent libéré. D’un côté, on étouffe. De l’autre, on respire. « Confinés de tous les pays, unissez-vous ! Vous avez les mêmes ennemis, ceux qui veulent s’échapper dans une autre planète. »
« Ici-bas », sauf qu’il n’y a pas de haut… Il faut s’en sortir… mais de quoi faut-il se sortir ? Il faut se sortir tout à fait de cette matière si peu matérielle. Mais pour aller où ? Pour revenir chez, soi, là où l’on est, là d’où l’on n’est jamais sorti. Pour s’en sortir, il faut sortir de l’idée de sortir « dehors » et il faut se décider à rester ou même à sortir « dedans ». On ne peut plus s’échapper, mais on peut habiter d’une autre façon le même lieu. L’expérience du confinement nous a appris à vivre chacun chez soi mais d’une autre façon. C’est ça la métamorphose…
L’économie confondue avec ce que les gens appelaient « leur monde », s’est arrêté. Cet arrêt du monde nous a permis de toucher du doigt la superficialité de cette façon de voir les choses. En quittant l’Économie, les terrestres ne font que rentrer chez eux et reviennent à l’expérience ordinaire. La question n’est pas de savoir si le monde de demain va remplacer le monde d’avant, mais si le monde de la surface ne pourrait pas laisser enfin sa place à celui de l’ordinaire profondeur. Comment s’y prendre pour empêcher de perdre cette profondeur que les confinés ont appris à goûter ? Nous sommes tous pour l’instant des prisonniers libérés sur parole qui risquent de reprendre le chemin de leurs cellules s’ils font encore des bêtises. Il ne faut plus jamais accepter de dire d’un sujet qu’il a une dimension économique et l’abandonner tout à fait comme description des rapports que les formes de vie entretiennent les unes dans les autres.. Il faudra prendre en compte quelque chose de plus profond et s’efforcer de lever le voile. Nous ne vivons pas dans la Nature inventée par des économistes pour y faire circuler librement leurs calculs. Nous, les terrestres, n’avons jamais habités le monde de l’économie. Apprenons à décrire de près ce qui ne peut être calculé.
Le confinement nous a donné l’impression d’habiter quelque part et non plus n’importe où. Claquemurés oui, mais enfin ancrés. L’expression « vivre dans un monde globalisé » a pris soudainement un coup de vieux. Les terrestres seraient bienvenus de nommer écologie ce que devient l’économie quand la description reprend. S’i l’une à refroidi la planète avant de la laisser brûler, l’autre doit en réchauffer les liens pour qu’elle se refroidisse enfin.
Il faut tout réinventer, le droit, la politique, les arts, l’architecture, les villes, et surtout le vecteur de nos actions. Non plus aller de l’avant dans l’infini mais apprendre à reculer devant le fini pour redevenir capable de régir. Le fameux « jour du dépassement » de consommation de nos ressources à reculer de trois semaines avec le confinement. On mesure la violence des rapports de force entre les Extracteurs et les Ravaudeurs… nous avons déjà mutés sans nous en apercevoir. Nous devons explorer toutes les capacités de survie imposées par le Nouveau Régime Climatique.
Laurence de Vestel, Février 2021 – © Oltome.com
« Où suis-je ? » de Bruno Latour est un conte philosophique. Bruno Latour tourne l’épreuve du confinement en une manière d’apprivoiser le changement de cosmologie imposé par le Nouveau Régime Climatique. Dans « Où suis-je », des leçons de confinement qui nous invitent à « revenir sur terre » en changeant nos façons de raisonner si nous voulons faire durer nos conditions d’habitabilité. En fin de compte, c’est le temps d’une reprise… existentielle. En effet, maintenant que nous sommes immobilisés, il est temps de nous demander où nous sommes vraiment. De réfléchir à ce qui nous fait vivre. Alors que vous continuons à nous penser autonomes, libres dans l’Univers infini, nous sommes plus que jamais dépendants d’une mince et fragile biosphère.
« Le confinement nous a donné l’impression d’habiter quelque part et non plus n’importe où. Claquemurés oui, mais enfin ancrés. L’expression « vivre dans un monde globalisé » a pris soudainement un coup de vieux. Les terrestres seraient bienvenus de nommer écologie ce que devient l’économie quand la description reprend. S’i l’une à refroidi la planète avant de la laisser brûler, l’autre doit en réchauffer les liens pour qu’elle se refroidisse enfin. »