Wangari est née le 1er avril 1940 au Kenya. Ses grands-parents et ses parents étaient des paysans de la tribu des Kikuyu, l’une des 42 ethnies du Kenya, la plus importante par le nombre. Wangari appartenait à cette génération charnière qui a encore eu le privilège de connaître les ultimes vestiges d’un monde ancien, dont la culture, les traditions, les croyances, jusqu’au paysages qui commençaient inexorablement à disparaître. Les campagnes des environs étaient encore vertes, luxuriantes et fertiles. La région était tapissée de forêts, sous-bois et foisonnait de fougères et de toutes sortes de plantes rampantes. Le peuple cultivait de vaste champs et ne connaissait pas la faim.
En 1849, un missionnaire et un explorateur allemands furent les premiers Européens à voir le Mont Kenya. Lorsqu’ils demandèrent à leur guide comment s’appelait la montagne, celui-ci pensant que les étrangers parlaient de son sac, répondit « Kiinyaa ». Le malentendu persista et le pays entier reçu ainsi le nom de Kenya. D’un bout à l’autre de l’Afrique, les Européens, en découvreurs, ont rebaptisés pratiquement tout ce qu’ils voyaient. La colonisation de l’Afrique commença réellement vers 1885. Pendant les 3 années qui suivirent, les grandes puissances coloniales européennes se ruèrent à l’intérieur des terres pour occuper des régions entières et y planter leur drapeau. Elles créèrent de toutes pièces de nouveaux pays délimités par des frontières arbitraires tirées au cordeau, bouleversant ainsi les équilibres ethniques réunies du jour au lendemain au sein d’un même pays, étrangères l’une à l’autre. Les puissances européennes incitèrent les européens blancs à venir s’établir dans leurs colonies. Ceux-ci trouvèrent des sols fertiles, un climat tempéré, une région où les maladies tropicales les plus redoutées était rares. Ils reçurent des titres de propriétés sur des terres accaparées au mépris des indigènes. En 1930, les Kikuyu et autres peuples avaient tous étés chassés de leurs terres ancestrales et relogés dans des réserves indigènes.
Parallèlement, les missionnaires menaient une action sociale auprès des villageois : ils leur prodiguaient des soins médicaux pour lesquelles les potions de guérisseur ne pouvaient rien. Ils apprenaient à lire et à écrire aux Kenyans convertis et ouvrirent des écoles. Ils ont réussi à fédérer toute une mosaïque d’ethnies qui parlait des langues différentes. Les Kikuyu se sont passionnés pour la chose écrite. Les Kenyans convertis bénéficiaient généralement d’un traitement de faveur de la part de l’administration coloniale : ils étaient nommés chefs ou sous-chefs de village. En l’espace d’une génération, les cultures indigènes furent englouties par la vague d’occidentalisation. La nouvelle économie bouleversa la vie sociale et déchira les familles : les hommes partaient travailler en ville en laissant derrière eux femme et enfants. Ils ne revenaient au village que deux ou trois fois par an. Les femmes sont devenues chef de famille, les hommes ont commencé à se dérober face à leur responsabilités, les abandons paternels se sont multipliés.
Pendant la première guerre mondiale, les Africains des colonies ont été enrôlés dans l’armée comme soldats ou porteurs pour aller se battre aux côtés de l’armée britannique. Les familles kenyanes qui ont perdu un enfant à la guerre non jamais reçu le moindre certificat de décès officiel ou indemnité. Cette terrible désinvolture des autorités coloniales est restée une blessure ouverte durant de longues années.
En 1947, Wangari retourne chez sa mère à Nyeri, où elle est née. A 7 ans, elle retrouve les splendides terres de son enfance. Plus tard, le gouvernement colonial avait décidé d’empiéter sur ces espaces intouchés pour y établir les plantations commerciales d’essences étrangères au détriment des essences locales. Un véritable ravage : les arbres étrangers évincèrent la flore et la faune indigènes et modifièrent irrémédiablement la composition des sols, qui ne parvenaient plus à capter et retenir les eaux pluviales. Le couvert végétal disparaissait, les eaux ruisselaient vers l’aval, le niveau des nappes phréatiques baissait inexorablement, et les rivières qui cascadaient jadis de la montagne ne s’écoulaient plus qu’en minces filets ou s’asséchaient purement et simplement.
Chez Wangari, il y avait aux alentours des éléphants, des antilopes, des singes, des léopards… Sa mère lui assurait qu’elle n’avait aucune raison d’avoir peur. Elle expliquait que les léopards étaient tapis dans les buissons et qu’on les repéraient à leur longue queue qui dépassait des buissons. Elle n’avait aucune raison d’avoir peur. Aujourd’hui la plupart des gens ont perdu ce contact avec la faune. Dès qu’ils aperçoivent un gros animal sauvage, ils s’affolent tellement qu’ils lui font peur et c’est justement ce qui risque de provoquer une attaque.
Wangari a pu aller à l’école dès l’âge de sept ans. Elle est ensuite rentrée au collège Sainte Cécile. En 1956, elle décroche son brevet avec une belle mention. Elle pu poursuivre ses études au lycée catholique dans les environs de Nairobi où elle s’est passionnée pour la chimie et la biologie. Pour nombre de jeunes Kenyans de sa génération, l’instruction représentait un véritable passeport pour l’avenir. Lorsqu’elle quitte le lycée en 1959, le processus de décolonisation était en marche dans presque toute l’Afrique. On lui proposera d’aller poursuivre ses études en Amérique ! Elle prépara un dossier qui fut accepté et elle fut sélectionnée pour le pont aérien de septembre 1960. Grâce à la fondation Kennedy, elle a été envoyée à Atkinson au Kansas au Mount Saint Scholstica College. En 1964, elle intègre l’université de Pittsburgh pour étudier la biologie. En 1965 elle termine ses études et revient à Nairobi en 1966, pour devenir à l’assistante d’un professeur de zoologie à Nairobi. En quittant les États-Unis, elle ramène au Kenya cinq ans et demi d’études supérieures et des résolutions auxquelles elle se tiendrait toujours : travailler dur, aider les pauvres et veiller sur les plus faibles les plus vulnérables. « Il n’est pas exagéré de dire que l’Amérique m’a métamorphosé, qu’elle fa ait de moi ce que je suis, aujourd’hui. Elle m’a appris à ne laisser passer aucune occasion et à faire tout ce qui peut être fait. Elle m’a insufflé un esprit de liberté, ouvert un vaste champ des possibles que j’ai eu envie de transplanter au Kenya. C’est dans cet état d’esprit que je suis rentré au pays. »
A l’époque Nairobi comptait moins de 500 000 habitants (4.400.000 aujourd’hui). On voyait pas d’enfants traîner dans les rues, ni de bidonvilles, Kibera était encore très loin de devenir le plus grand bidonville d’Afrique. Les autobus de Nairobi étaient rarement bondés, les poubelles étaient enlevées, la ville était propre et les habitants n’avaient rien à craindre. En 1969, Wangari rencontre son futur mari avec lequel elle aura trois enfants. Elle passe énormément de temps en Allemagne où elle a obtenu un poste qui lui permet de se spécialiser dans la manipulation de microscope électronique. En 1971, elle devient la première femme d’Afrique de l’est et d’Afrique centrale à obtenir le titre de docteur en sciences. Son doctorat lui vaut d’être promue maître de conférences. Elle se consacre à l’enseignement. Elle s’attache à rééquilibrer les conditions d’embauche entre hommes et femmes. En 1974, elle est nommée maître de conférences en anatomie. En 1976, elle dirige le département d’anatomie Vétérinaire et en 1977, elle obtient le titre de professeur associée. Elle cumulera jusqu’à la fin de sa vie de nombreux prix. Elle sera souvent, la première femme à accéder à de nombreux postes, ce qui lui vaudra de nombreux ennemis et particulièrement lors de son très difficile divorce en 1981.
Ses recherches en médecine vétérinaire ont contribué à éveiller fortement sa conscience écologique. Elle remarque les vaches devenir de plus en plus maigres… Les glissements de terrain étaient de plus en plus courants, les sols se mourraient, et les bonnes sources se tarissaient. Beaucoup de paysans avaient renoncé à leur culture vivrière et reconverti leurs terres en plantation de thé et de café pour répondre à la demande du marché international. Faute de produits de la ferme, les mères donnaient à leurs enfants des aliments transformés, pauvres en vitamines, protéines et minéraux. On manquait également de bois pour cuisiner… Le chambardement avec des conséquences catastrophiques. La tâche était titanesque ! Avec sa formation de scientifique et son séjour en Amérique, Wangari avait appris qu’il vaut mieux se concentrer sur ce qui peut être fait que de se morfondre sur les fatalités. C’est à ce moment-là, que Wangari eut l’idée de planter des arbres. Une solution simple qui fournirait du combustible à volonté pour cuisiner, du bois pour clôturer les champs, du fourrage pour les animaux, des racines pour préserver les sources et consolider les terrains, des abris pour faire revenir les oiseaux et toute une faune disparue. C’est de cette idée simple qu’est né le mouvement de la ceinture verte qui s’est étendu dans toute l’Afrique ! Une ceinture verte plantée par les femmes kenyanes pour combattre la déforestation, lutter contre les changements climatiques et la désertification, contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté. En 1985, au Kenya, 6000 pépinières avaient vu le jour, gérés par 600 réseaux communautaires ayant plantés plus de 30 millions d’arbres. Une véritable démonstration du dynamisme de l’Afrique qui a rencontré un incroyable soutien international mais qui a aussi amené Wangari à s’opposer régulièrement au régime et souvent en prison.
En 2004, Wangari reçoit le prix Nobel de la paix. Le comité Nobel a mis en évidence et accrédité les rapports fondamentaux qui lie la paix à la gestion durable des ressources et aux pratiques de bonne gouvernance.
« Les arbres ont tenu une place essentielle dans ma vie et ils m’ont appris bien des leçons. Chaque arbre est le symbole vivant de la paix de l’espoir. Avec ses racines profondément ancrées dans la terre et ses branches qui se lancent vers le ciel, il nous dit que pour aspirer à aller toujours plus haut, nous aussi nous devons être bien enracinés au sol car, aussi haut que nous nous élancions, c’est toujours de nos racines que nous puisons notre force. Je garde toujours cette image à l’esprit, car elle vient opportunément rappeler à tous ceux d’entre nous qui ont connu le succès que nous ne pouvons pas oublier d’où nous venons. Rapporter à la sphère politique, elle signifie qu’au-delà de la petite parcelle de pouvoir qui est entre nos mains, au-delà des nombreuses distinctions que l’on peut recevoir, notre véritable pouvoir, notre force et notre capacité atteindre nos objectifs nous viennent en premier lieu de notre peuple, de tous ces anonymes qui travaillent dans l’ombre, qui sont le terreau fertile sur lequel nous prospérons, les épaules solides qui nous portent. »
« Celle qui plantait des arbres », l’autobiographie de Wangari Maathai est un livre extrêmement inspirant. Elle a réussi avec une persévérance incroyable à faire planter 50 millions d’arbres à travers l’Afrique sur plus de 11.000 km. Magnifique exemple d’une vie réussie qui a su se mettre au service de la nature et des femmes. Un livre qui fait un peu penser à « L’homme qui plantait des arbres » de Giono. Des destins incroyables dont nous ferions bien à être nombreux(ses) à s’inspirer?