Résumé du livre de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie »
Sylvain Tesson est parti s’installer pendant 6 mois dans une cabane perdue dans une nature démesurée sur les bords du lac Baïcal dans les forêts de Sibérie.
« La liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix. » Henry de Montherlant
EXTRAITS
« Il faut que je trouve la force de repousser le chat. Se lever de son lit demande une énergie formidable. Surtout pour changer de vie. Cette envie de faire demi-tour lorsqu’on est au bord de saisir ce que l’on désire. Certains hommes font volte-face au moment crucial. J’ai peur d’appartenir à cette espèce. »
« Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide. L’erreur serait de choisir exclusivement de la lecture difficile en imaginant que la vie dans les bois vous maintient à un très haut degré de température spirituelle. »
« Je pense au destin des visons. Naître dans la forêt, survivre aux hivers, tomber dans un piège et finir en manteau sur le dos de rombières dont l’espérance de vie sous les futaies serait de trois minutes. Si encore les femmes couvertes de fourrure avaient la grâce des mustélidés qu’on écorche pour elles… »
« … Le pays me saute au visage. C’est fou ce que l’homme accapare l’attention de l’homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses. »
« Voilà la vie qu’il me faut. Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix ».
« Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l’eldorado. A mille cinq cents kilomètres au sud, vibre la Chine. Un milliard et demi d’êtres humains s’apprêtent à y manquer d’eau, de bois, d’espace. Vivre dans les futaies au bord de la plus grande réserve d’eau douce du monde est un luxe. Un jour, les pétroliers saoudiens, les nouveaux riches indiens et les businessmen russes qui traînent leur ennui dans les lobbys en marbre des palaces le comprendront. Il sera temps alors de monter un peu plus en latitude et de gagner la toundra. Le bonheur se situera au-delà du 60è parallèle Nord. »
« Le conseil de Baden-Powell : Lorsqu’on quitte un lieu de bivouac, prendre soin de laisser deux choses. Premièrement : rien. Deuxièmement : ses remerciements. »
« La cabane, royaume de simplification. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menues jouissances. L’éventail de choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres. La forêt resserre ce que la ville disperse. »
« Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir »
« Je me lève avec une gueule de bois à flotter sur l’eau… »
« Une fuite, la vie dans les bois ? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les frontières de l’habitude donnent à l’élan vital. »
« La cabane est un terrain parfait pour bâtir une vie sur les fondations de la sobriété luxueuse. La sobriété de l’ermite est de ne pas s’encombrer d’objets, ni de semblables. De se déshabituer de ses anciens besoins. »
« Les sociétés n’aiment pas les ermites. Elles ne leur pardonnent pas de fuir. Elles réprouvent la désinvolture du solitaire qui jette son « continuez sans moi » à la face des autres. Se retirer c’est prendre congé de ses semblables. L’ermite nie la vocation de la civilisation, en constitue la critique vivante. Il souille le contrat social. Comment accepter cet homme qui passe la ligne et s’accroche au premier vent ? »
« Il est bon de n’avoir pas à alimenter une conversation. D’où vient la difficulté de la vie en société ? De cet impératif de trouver toujours quelque chose à dire. Je pense à ces journées de déambulation dans Paris à égrener nerveusement les « ça va » et « revoyons nous vite » à des gens bizarres, inconnus, lesquels me débitent les mêmes choses, comme affolés. »
« Moins on parle et plus on vivra vieux. »
« Le monde dont nous sommes tour à tour les taches ou les pinceaux. »
« L’épigraphe de l’Hypérion : Ne pas se laisser écraser par l’immense, savoir s’enfermer dans le plus étroit espace, c’est en cela qu’est le divin. »
« Deux ingrédients nécessaires à la vie sans entraves : la solitude et l’immensité… Contrairement à ce qui advient en ville, le danger de la vie dans les bois provient de la Nature et non de l’Homme. On pourrait imaginer dans nos sociétés occidentales urbaines, des petits groupes de gens désireux de fuir la marche du siècle. Ils décideraient de quitter les zones urbaines pour regagner les bois. Ils recréeraient des villages dans les clairières. Ce mouvement s’apparenterait aux expériences hippies mais se nourrirait de motifs différents. Les hippies fuyaient un ordre qui les oppressait. Les néo-forestiers fuiront un désordre qui les démoralise. Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l’espace à profusion et de la solitude. Il faut ajouter la maîtrise du temps, le silence total, l’âpreté de la vie et le côtoiement de la splendeur géographique. L’équation de ces conquêtes mène en cabane. »
« … Penser à vérifier si une psychanalyse de la cabane n’a pas été publiée, parce que ce soir, je me sens aussi bien qu’un fœtus. »
« Dans le monde que j’ai quitté, la présence des autres exerce un contrôle sur les actes. Elle maintient dans la discipline. En ville, sans le regard de nos voisins, nous nous comporterions moins élégamment. Qui n’a jamais dîné seul debout dans sa cuisine, heureux de n’avoir pas à mettre le couvert, jouissant de bâfrer à grosses lampées une boîte de raviolis froids ? Dans la cabane, le relâchement menace. Combien de Sibériens solitaires, affranchis de tout impératif social, sachant qu’ils ne renvoient une image d’eux-mêmes à personne, finissent avachis sur un lit de mégots à se gratter la gale ? Robinson connaît ce danger et décide pour ne pas s’avilir, de dîner chaque soir à table et en costume, comme s’il recevait un convive. »
« Dans une cabane, la vie s’articule autour de trois activités : 1. La surveillance et la connaissance approfondie de son champ de vision. 2. La bonne tenue de son intérieur. 3. La réception des rares visiteurs et parfois, le barrage fait aux importuns. »
« Croyez que pour être libre, il suffit de croire de l’être. » Casanova
« Penser aux pachydermes insuffle la force. »
« Il faut avoir l’esprit tordu pour voir en l’Amant de Lady Chatterley un livre érotique. Ce roman est un requiem pour une nature blessée… C’est l’agonie d’un monde. L’Angleterre industrielle efface l’Angleterre agricole. Lawrence met dans la bouche de la jeune femme de prophétiques paroles sur l’enlaidissement des paysages, l’abrutissement des esprits, la tragédie d’un peuple qui perd sa vitalité (virilité) dans les cadences mécaniques. L’amour primitif et païen s’épanouit chez Lady Chatterley en même temps qu’elle assiste au naufrage des âmes modernes, siphonnées par une sinistre énergie… Lady Chatterley transpirante de désir hurle sous les ramures de la forêt cette question de tragédienne : « Qu’est-ce que l’homme a fait à l’homme ? »
« Qu’est-ce que la solitude ? Une compagne qui sert à tout. Elle est un baume appliqué sur les blessures. Elle fait caisse de résonance : les impressions sont décuplées quand on est seul à les faire surgir. Elle impose une responsabilité : je suis l’ambassadeur du genre humain dans la forêt vide d’hommes. Je dois jouir de ce spectacle pour ceux qui en sont privés. Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient avec soi-même. Elle lave de tous les bavardages, permet le coup de sonde en soi. Elle convoque à la mémoire le souvenir des gens aimés. Elle lie l’ermite d’amitié avec les plantes et les bêtes et parfois un petit dieu qui passerait par là. »
« Dans tout cela réside une signification profonde. Sur le point de l’exprimer déjà, j’ai oublié les mots » Poésie chinoise.
« La retraite est une révolte. Gagner sa cabane, c’est disparaître des écrans de contrôle. L’ermite s’efface. Il n’envoie plus de traces numériques, plus de signaux téléphoniques, plus d’impulsions bancaires. Il se défait de toute identité… La société de consommation est une expression légèrement infâme, née du fantasme de grands enfants déçus d’avoir été trop gâtés. Ils n’ont pas la force de se réformer et rêveraient qu’on les contraigne à la sobriété. »
« Les chiens… je leur lance un os. Ils ne se lassent jamais de me le rapporter. Ces maîtres m’apprennent à peupler la seule patrie qui vaille : l’instant. Notre péché à nous autres, les hommes, c’est d’avoir perdu cette fièvre du chien à rapporter le même os. Pour être heureux, il faut que nous accumulions chez nous des dizaines d’objets de plus en plus sophistiqués. La pub nous lance son « va chercher ! ». Le chien a admirablement réglé le problème du désir. »
« L’homme est un enfant capricieux qui croit que la Terre est sa chambre, les bêtes ses jouets, les arbres ses hochets. »
« On dispose de tout ce qu’il faut lorsque l’on organise sa vie autour de l’idée de ne rien posséder. »
« Dans toute leur étroitesse, les bourgeois ont tout de même compris cette chose essentielle : il faut se donner la possibilité d’un bonheur minimum. »
« Avoir 38 ans et être là, aplati comme une flaque de goudron sur une plage, à ramper en demandant à un chien pourquoi les femmes s’en vont… »
« Les livres sont plus secourables que la psychanalyse. Ils disent tout, mieux que la vie. Dans une cabane, mêlés à la solitude, ils forment un cocktail lytique parfait. »
« Tenir en considération les insectes procure de la joie. Se passionner pour l’infiniment petit précautionne d’une existence infiniment moyenne. Pour l’amoureux des insectes, une flaque d’eau deviendra le Tanganyika, un tas de sable prendra les dimensions du Takla-Makan, une broussaille se changera en Mato Grosso. Pénétrer dans la géographie de l’insecte, c’est donner enfin aux herbes la dimension d’un monde. »
« Je saisis à présent le caractère agressif d’une conversation. Prétendant s’intéresser à vous, un interlocuteur fracasse le halo du silence, s’immisce sur la rive du temps et nous somme de répondre à ce qu’il vous demande. Tout dialogue est une lutte. »
« La virginité du temps est un trésor. Le défilé des heures est plus trépidant que l’abattage des kilomètres. L’œil ne se lasse jamais d’un spectacle de splendeur. Plus on connaît les choses, plus elles deviennent belles… J’ai quitté le caveau des villes et vécu six mois dans l’église des taïgas. Six mois comme une vie. Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane où quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre. »
Laurence de Vestel – Août 2018 ©Oltome.com
« Dans les forêts de Sibérie« , c’est l’aventure intérieure vécue et remarquablement bien écrite de et par Sylvain Tesson. Un essai sur la liberté qui nous appartient à tous de vivre ou non.
« Assez tôt, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J’ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j’ai tâché d’être heureux. Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie.
Et si la liberté consistait à posséder le temps ?
Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. »