Résumé du livre « Eloge de la lucidité » d’Ilios Kotsou
« Tous les hommes cherchent à être heureux ; cela est sans exception ; quelques différents moyens qu’ils emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n’y vont pas, est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions, de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre » Blaise Pascal
Les pièges de l’idéalisation
Le bonheur est la nouvelle religion de notre société de consommation. Ne risquons-nous pas d’être mécontents, déçus et insatisfaits en comparant « ce qui devrait être » et « ce qui est », entre « ce que nous devrions ressentir » et « ce qui nous arrive vraiment » ? La poursuite effrénée du bonheur nous fait croire ou nous fait s’identifier à des modèles idéalisés, (Paris, le couple, les vacances dans un petit paradis…) et ne peut que nous amener à être déçus. Le bonheur étant perpétuellement ailleurs, nous passons notre temps à espérer vivre mais nous ne vivons jamais, toujours coupés de la vie telle qu’elle est.
I. Les pièges du bonheur
Les dangers de la lutte contre l’inconfort
« Nous sommes prisonniers de ce que nous refusons » Swami Prajnanpad
L’évitement émotionnel de nos inconforts intérieurs sont des tentatives pour anesthésier des émotions et un vécu trop douloureux. Cet évitement ne pose pas de problèmes lorsqu’il est utilisé à bon escient.
Le paradoxe de l’évitement
Cependant, toute l’énergie de lutte consacrée à éviter une émotion difficile fait de cette émotion le centre de notre existence et ne fait que renforcer son intensité. A force d’éviter (de parler en public, de prendre l’avion, de s’ouvrir…,) nous perdons en liberté et en possibilités.
L’évitement se met entre nous et ce qui compte dans notre vie.
Seul ce qui compte à nos yeux peut causer notre souffrance. On peut refuser de se mettre en couple pour éviter la souffrance d’une trahison, d’un abandon hypothétique. Notre vie ne vaudrait-elle pas la peine de consacrer les moyens que nous dépensons à éviter de souffrir pour aller plutôt vers ce qui compte vraiment pour nous.
La « pathologisation » des états d’âme
Nos émotions « négatives » sont bien utiles. Aujourd’hui, la timidité est considérée comme une phobie sociale, le chagrin catalogué de dépression, la colère considérée comme dangereuse. Nous en arrivons à avoir peur de notre peur. « La douleur est incontournable, la souffrance est optionnelle » nous dit Haruki Murakami. La souffrance est constituée de la douleur à laquelle s’ajoutent le jugement et le refus de cette douleur. Comme le dit Samuel Beckett : « Vous êtes sur terre, c’est sans remède » !
Le mythe de la pensée positive
« Qu’est-ce que je serais heureux si j’étais heureux ! » Woody Allen
Selon certains gourous, notre vie est le simple reflet de nos pensées. Il suffirait de se débarrasser de ses pensées négatives et de les remplacer par des positives. Or la tentative de supprimer une pensée ne fait que l’intensifier. Les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs sont celles qui cherchent à tout prix à éviter leurs pensées indésirables.
Pensée positive et psychologie positive
La psychologie positive est une discipline scientifique qui étudie les moyens d’améliorer de manière réaliste le bien-être individuel et collectif en focalisant notre attention sur les ressources plutôt que sur les difficultés.
Les mirages de la poursuite de l’estime de soi
« Je n’accepterais jamais d’être membre d’un club qui m’accepterait comme membre. » Groucho Marx
L’estime de soi, des bénéfices surévalués
Les personnes ayant une haute opinion d’elles-mêmes, narcissiques, ont une image d’elles-mêmes surévaluée, un ego plus important et donc d’autant plus menacé. Ces personnes sont plus réactives et agressives.
Le coût de la poursuite de l’estime de soi
La poursuite de l’estime de soi peut devenir obsessionnelle, motivée non par le plaisir mais par le besoin de continuer à exister dans le regard des autres. Elle devient un facteur de stress et d’anxiété, une poursuite de la perfection que nous n’atteindrons bien évidemment jamais et qui ne peut que conduire à une déception de soi-même.
Dans les relations
« Je ne m’estime pas. Je ne puis estimer quelqu’un qui m’estime. Je puis estimer que quelqu’un qui ne m’estime pas. J’estime Jack parce qu’il ne m’estime pas. Je méprise Tom parce qu’il ne me méprise pas. Seule une personne méprisable peut estimer une personne aussi méprisable que moi. Je ne puis aimer quelqu’un que je méprise. Du fait que j’aime Jacq, je ne puis croire qu’il m’aime. Quelle preuve peut-il me donner ? »
Extrait de « Nœuds » de Ronald Laing.
La poursuite de l’estime de soi nous rend plus faciles à manipuler, tant notre désir de correspondre à un groupe ou à une image est fort. Elle nous rend fragiles à toute critique et risque bientôt de se retourner contre nous.
L’impasse du nombrilisme
« Nous ne voyons pas le monde comme il est . Nous le voyons comme nous sommes » Anaïs Nin
Génération nombriliste
Le nombrilisme nous amène à coire que le monde entier tourne autour de nous et à prendre tout très personnellement. Le nombrilisme induit dans notre système éducatif ultracompétitif a créé une génération d’individus gonflés d’un sens disproportionné de leur valeur personnelle, centrée sur elle-même, « moi » plutôt que « nous ». Facebook en est une très belle illustration. Les personnes deviennent relativement indépendantes de la collectivité extrêmement soucieuses de leur image.
Le « moi narratif »
Ce moi narratif contient l’ensemble des mémoires, pensées, émotions, sensations, impulsions que nous avons intégrées en une sorte d’image stable de nous-mêmes. Il est fait d’étiquettes qui jouent une fonction de prévisibilité, d’un moi stable et cohérent qui s’inscrit dans la continuité.
L’investissement dans nos croyances
Plus nous avons investit dans nos croyances, plus elles sont bien ancrées en nous et sont tels des repères bien rassurants. Notre système de croyance nous fige, emprisonne notre identité aux quelques descriptions limitées de nous-mêmes. L’histoire que nous nous racontons nous sépare du monde.
II. Les chemins de la lucidité
La tolérance
« Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir heureux ou courageux » Rainer Maria Rilke
Fuir les fantômes pour s’en débarrasser n’est pas la meilleure solution : ils courent plus vite que nous ! L’alternative à l’évitement émotionnel est la tolérance, cette capacité à supporter et à accepter nos inconforts intérieurs. Accepter ceux-ci en les laissant simplement exister plutôt que de chercher à les combattre en vain.
Reconnaître ses émotions désagréables
Comparons nos émotions au temps qu’il fait. Prenons la météo de nos contrées intérieures pour apprendre à les connaître, les reconnaître et les prendre pour ce qu’elles sont. Cela nous permettra d’apprivoiser nos états d’âmes difficiles, d’entrer en amitié avec eux et de gagner en liberté d’action… est-ce que je mange ce morceau de chocolat par plaisir ou pour compenser un stress,… Cela nous permettra de mieux affronter le contexte que nous cherchons à éviter. Rilke disait « Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie souffrances, inquiétudes, pesantes mélancolies, dont vous ignorez l’œuvre en vous ? »
Le détachement
« J’ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie, dont la plupart ne sont jamais arrivés » Mark Twain.
Nous pensons constamment sans jamais nous retrouver dans l’ici et le maintenant. Faire la différence entre le monde réel et celui de nos pensées, et les considérer comme de simples pensées est un premier chemin vers la liberté.
L’exercice du bus de notre vie
Imaginez un bus dont vous êtes le chauffeur. Le bus de votre vie. Le bus est tenu de s’arrêter à certaines stations où montent et descendent des passagers qui symbolisent nos pensées ; souvenirs, émotions… Comme dans la vie, vous ne pouvez pas contrôler qui monte dans le bus. Il y a des silencieux mais aussi des énervés, des stressés, des frustrés. Vous vous épuiseriez en cherchant à « gérer » chaque passager et cela sans pouvoir faire avancer votre bus. Tous les passagers font partie du voyage… le problème ne réside pas tant dans leur présence que dans la manière de pouvoir les traiter comme de simples passagers avec bienveillance.
Ne pas croire tout ce que notre tête nous raconte
Comme Nasreddin à qui son voisin annonce que sa femme le trompe… « Mais, ce n’est pas possible, jamais on ne me ferait ça, un homme respecté comme moi »…. La nuit tombe et Nasreddin se rend à l’endroit où sa femme et son amant sont supposés se retrouver la nuit. Au petit matin, après s’être demandé toute la nuit qui il allait tuer en premier, et comment,… Nasreddin réalise qu’il n’a en fait jamais été marié !
La douceur envers soi
La majorité d’entre nous considère l’empathie, l’altruisme, la générosité comme des qualités importantes dans nos rapports avec l’autre. Qu’en est-il de notre relation avec nous-même ?
Estime de soi et douceur envers soi
Les personnes douées de douceur envers elles-mêmes sont moins soucieuses de défendre leur égo car la douceur envers soi n’implique pas d’auto-évaluation et n’est pas liée au narcissisme. La douceur envers soi réduit le stress lié au sentiment d’échec, aide à accepter ses limites et défauts tout comme ceux des autres, rend plus affectueux et plus attentionné, plus apte à se pardonner et pardonner aux autres.
Enlever notre amertume
Elle nous fait enlever notre armure qui nous sépare de nous-mêmes pour vivre pleinement tel que nous sommes. Khalil Gibran disait : « Il est en moi un ami qui me console à chaque fois que les maux m’accablent et que les malheurs m’affligent. Celui qui n’éprouve pas d’amitié envers lui-même est un ennemi public et celui qui ne trouve pas de confident en lui-même mourra de désespoir. »
L’élargissement de soi
« L’humilité consiste à être affranchi de l’importance de soi. » Matthieu Ricard
Dans la société actuelle, nous avons tendance à stigmatiser les individus pour nous rassurer sur un monde plus ou moins sous contrôle, où nous sommes bien entendu du bon côté. Nous racontons nos histoires auxquelles nous finissons par nous identifier. Ces histoires limitent notre vie dans ses petites et grandes dimensions. Le mode du moi narratif est notre mode de « configuration par défaut ». Mes pensées ne sont pas la réalité !
Elargir notre perspective
Se décoller de « notre histoire », permet d’aborder la vie avec plus de sagesse : la capacité à reconnaître que notre propre savoir est limité, la conscience que le monde change continuellement et le souci porté au bien commun.
S’ouvrir à l’expérience
Nous ne sommes pas uniquement nos pensées, nos émotions et nos sensations. Nous sommes bien plus que cela. Lorsque le regard se tourne sur lui-même de l’intérieur, nous découvrons un espace immense. C’est dans notre propre conscience qu’apparaît le monde. C’est comme ouvrir une fenêtre qui nous permet enfin d’apercevoir la vie.
Vers l’oubli du moi
Paul Valéry disait : « Modestes sont ceux en qui le sentiment d’être d’abord des hommes l’emporte sur le sentiment d’être soi-même. Ils sont plus attentifs à leur ressemblance avec le commun qu’à leur différence et singularité. » Le Dalaï-Lama nous rappelle que nous sommes six milliards d’êtres humains, qu’en appuyant sur nos différences, on nous a fait oublié qu’il n’y a pas de différences, que nous sommes tous liés.
III. Conclusion
Ne sommes-nous pas souvent accrochés à « ce qui devrait se passer » ou « ce qui aurait dû se passer ». Ainsi, nous passons à côté de la vie, ne voyant ni les opportunités, ni les solutions. Nous ne pouvons agir avec justesse que lorsque nous accueillons la réalité du moment. Reconnaître ce qui est c’est réaliser que nous sommes profondément différents, que tout change et qu’il est impossible de changer l’autre. La lucidité permet de rester, de partir, de changer ce qui peut l’être, en faisant du mieux de ce que nous pouvons.
Agir avec tolérance sans perdre notre énergie dans une lutte pour ne plus souffrir,
Agir avec détachement sans toujours croire ce que notre tête nous raconte,
Agir en acceptant sa fragilité, se regarder avec douceur, sans le regard des autres,
Agir de manière lucide sans être attaché aux conséquences de nos actions,
Vivre avec tolérance pour la sérénité de l’acceptation ;
Vivre de manière détachée pour la paix du mental ;
Vivre en s’oubliant pour se découvrir relié plutôt que séparé du tout ;
Vivre de manière lucide pour s’ouvrir à l’amour et à la joie de ce qui est.
Laurence de Vestel, juillet 2015 – © Oltome.com
« Eloge de la lucidité » d’Ilios Kotsou pour se libérer des illusions qui nous empêchent d’être heureux ». Un livre qui nous invite à comprendre pourquoi nous avons des difficultés à être heureux, alors et surtout « lorsque nous avons tout ! ». Plus nous cherchons le bonheur, plus il semble se dérober. La majorité d’entre nous recherche un bonheur idéalisé, une vie sans souffrance, des émotions toujours positives, une estime de soi sans faille, un épanouissement personnel constant. Ilios Kotsou nous explique combien le mirage de la société de consommation nous éloigne de notre capacité à être heureux. Une véritable invitation à vivre plus sobrement. Apprenons à travailler sur une conscience plus clairvoyante et indispensable. Nous trouverons en nous une joie durable, portée par la beauté et la valeur réelles de nos vies.
Eloge de la lucidité
« Tous les hommes cherchent à être heureux ; cela est sans exception ; quelques différents moyens qu’ils emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n’y vont pas, est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions, de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre » Blaise Pascal