« Il semble que le besoin de transcender les frontières du moi soit un besoin au même titre que nous avons des besoins de vitamines et de minéraux, c’est-à-dire que s’il n’est pas satisfait, l’homme tombe malade d’une manière ou d’une autre. » Abraham Maslow
La plupart des personnes qui pousse la porte du cabinet d’Inès Weber ressentent qu’au fond d’elles, il leur manque essentiel. « Il me manque l’essentiel », le nouveau malaise de notre temps. Nos sociétés ont déserté le terrain du sens et négligé l’importance de la vie intérieure, ce qui se traduit par un sentiment de peu exister. Nous sommes écartelés entre deux souffrances : celui de ne pas pouvoir s’insérer dans le monde, s’y sentir « normal » et celui de ne pas pouvoir rentrer en contact avec son être profond. Notre monde est tourné vers l’avoir, la quantité, les besoins matériels au détriment de l’être, de la qualité, des aspirations spirituelles. Si notre moi se porte bien, on peut souffrir d’un défaut d’être. Être soi est donc devenu la grande revendication de notre temps.
I. UNE QUETE ETERNELLE, DETOURNEE DE SON BUT SUPREME
Un besoin intemporel
Socrate disait : « Connais-toi toi-même », Nietzsche : « Deviens qui tu es », Dieu : « Va vers toi »… Nous ne sommes pas la première génération à ressentir cet écart entre l’existence que l’on mène et la vie qui mérite vraiment d’être vécue, L’intuition et la conscience de cet écart constitue le problème central de l’existence humaine depuis des siècles et des siècles.
Tué dans l’œuf aujourd’hui
Aujourd’hui, la grande majorité des gens ferment la porte de la quête intérieure. Les adolescents se retrouvent souvent face à des adultes démunis lorsqu’ils souhaitent des réponses à leurs questions existentielles, dont la plus importante est « Qui suis-je ? ». Les parents ayant désertés depuis longtemps le terrain du sens profond des choses, se retrouvent ignorants de leur propre nature.
Les religions procuraient aux êtres humains les moyens de se relier aux significations supérieures de l’existence. La négation de tout ce qui transcende la vie a cassé le ressort humain fondamental, le besoin et l’intuition d’un dépassement de notre banale existence. Nous avons perdu l’importance de chercher qui l’on est, de partir à la découverte de notre âme, de prendre soin de notre être, en suivant le fil de nos grandes questions existentielles.
De la volonté à être soi à la réalité d’être comme tout le monde
La modernité aurait pu être l’occasion de la promotion de l’individu et de son droit à disposer de lui-même, à être le libre auteur et créateur de son existence. Pourtant, la modernité nous appris à s’adapter, s’effacer, se fondre dans la masse, à être comme tout le monde. Notre mode de vie individualiste et nos relations superficielles nous ont affaiblis. L’union fait la force, a contrario, la désunion fait la faiblesse. L’homme se retrouve tragiquement seul.
En sortant de religion, l’homme moderne a cessé tout effort spirituel, de mettre en culture sa terre intérieure. La liberté gagnée, au lieu d’être une chance, nous fait plonger dans une nouvelle servitude : le conformisme. Le jeune adolescent, démuni face à ses questions existentielles, cèdera facilement à l’envie de se réfugier dans des identités toute faites tendues par des modèles culturels. Il préférera sacrifier l’aspiration être soi aux besoins d’appartenance, se conformer au prix de son intégrité plutôt que de s’affirmer coûte que coûte. Nous sommes trop peu reliés à nous-mêmes et aux autres pour trouver la force de faire un vrai usage de la liberté dont nous sommes censés jouir.
Une société hypernormative
Depuis le milieu du XXe siècle, plus personne ne nous donne d’ordres directs. L’autorité extérieure suprême d’aujourd’hui qui gouverne le monde est l’économie. Une autorité invisible, invincible, qui fait nous des petits soldats, des exécutants plutôt que de vrais sujets auteurs et créateur de nos vies. L’homme moderne se croit libre parce qu’il pense avoir le choix mais il ne peut décider que parmi un nombre très limité de possibilités. Sombre tableau… Nous sommes déterminés par des déterminismes extérieurs qui agissent en s’infiltrant à l’intérieur de nous et en prenant la forme de notre propre pensée.
Le troupeau humain dressé à la carotte et au bâton
Dès le plus jeune âge, la norme nous fait prendre des plis bien définis. Nous apprenons à développer nos facultés rationnelles au détriment de l’intuition, des émotions, de l’imagination. A la carotte et au bâton, nous sommes formés en masse à la conformité pour finir par former un troupeau moutonnier.
En tant que psychologue, Ines Weber est en première ligne pour témoigner de l’usage de la pathologisation, mode de sanction conte la non-conformité. En cas de burnout, c’est à la personne épuisée de partir en congé maladie et non aux organisations de se remettre en question. Pareil à l’école. De nos jours, il est considéré comme pathologique de ne pas réussir à s’adapter dans les situations approuvées par la culture dominante, au lieu de considérer qu’il devrait être normal d’offrir à tous les conditions d’apprentissage et de travail soucieuses et respectueuses de l’épanouissement et de l’intégrité de la personne.
La pathologie et la normalité
S’accomplir, c’est parvenir à la plaine expression de ce qu’il y a à la fois de plus universel et de plus singulier en nous. La société moderne considère qu’un individu est sain et normal lorsqu’il présente les qualités nécessaires pour servir son fonctionnement. La santé mentale, la psychiatrie et la psychologie moderne œuvrent au bon fonctionnement social et économique de l’être humain, pas à son plein épanouissement. Ce qui revient à maintenir l’humanité dans un état de sous-développement, sinon celle-ci deviendrait plus résistante aux aliénations sous toutes leurs formes (opinons d’autrui, publicité, achats, propagande, etc.). La normalité pose deux problèmes : elle uniformise et nivelle les masses par le bas. Difficile d’Être soi et de ne pas devenir ce que l’on doit être…
L’illusion de la personnalisation
Le système économique récupère à son profit notre situation généralisée de « perte de soi ». Les êtres humains sont au service du système économique, qui prétend apporter le remède aux problèmes identitaires qu’il a lui-même contribué à engendrer. Le plus grand producteur d’uniformité prétend être le premier fournisseur de singularité. Nous sommes tombés dans le cercle vicieux du travailler plus dans des conditions aliénantes pour acheter plus de produits de consommation compensatoire. Nous perdons notre vie à servir les intérêts du marché. Qui est si bien bercé finit par s’endormir sans protester…
Le marché de l’ego
Exister consiste à vivre en pleine conscience et connaissance de qui je suis vraiment. Notre souffrance essentielle vient du fait que nous menons des vies qui ne nous permettent pas assez d’exister. Le besoin d’être soi est d’autant plus fort qu’il est de plus en plus frustré. Une opportunité commerciale à ne pas manquer… À travers les slogans, les marques s’adressent à nos aspirations essentielles pour nous vendre des produits inessentiels et ça marche d’autant mieux que nous méconnaissons nos besoins essentiels, que nous les avons perdus de vue, alors qu’ils restent présents au fond de nous-mêmes. Il y a urgence de se dégager de cette identification maudite.
Le moi et le soi
L’ego est l’identité que l’on a. Le soi est notre être essentiel. Se connait vraiment celui qui peut répondre à la question « qui suis-je ? » à partir du Soi en lui. Plus je m’enferme dans mon égo, plus je m’éloigne de la réalité profonde, plus, je suis prisonnier du système. Et inversement.
Être soi comme dépassement du moi
L’oubli de soi n’est pas ce qui rend le plus grand service au monde. Mieux vaut commencer par soi pour croître pleinement et donner de bons fruits, pour mettre ma petite vie au service de la grande Vie. En se reliant à la partie la plus profonde de soi, nous pourrions trouver notre juste place dans le monde. Notre rapport nature est à l’image de notre rapport à nous-mêmes. Nous causons autant de tort à la nature parce que nous sommes nous-mêmes dénaturés, éloignés de notre vraie nature. Michel Maxime Egger dit : « Plus nous descendons profondément dans notre psyché, plus nous rejoignons l’âme du monde, et plus nous découvrons que les animaux, les arbres et les fleurs sont animés d’une âme qui n’est pas étrangère à la nôtre. »
En conclusion :
Le besoin que nous éprouvons à être soi, bien légitime et naturel, est assez difficile à réaliser dans les conditions du temps présent, pour trois raisons :
- Notre faiblesse intérieure, due à l’abandon puis la sortie de la religion de tout effort suffisant de mise en culture de nos âmes
- La force des autorités extérieures qui, devenu invisibles, agissent de façon plus sournoise et nous conditionnent au travers des représentations de ce qui est jugé normal et sain.
- La confusion entre « être moi » et « être soi », entretenue et renforcée par la stratégie de vente des acteurs économiques.
Tout dans ce contexte semble à la fois nous dire « sois toi-même » et « sois comme tout le monde ». Pour Jean-Yves Leloup, « Si nos vies n’ont pas de sens, c’est parce qu’elles n’ont pas de centre, d’ancrage dans notre être profond. » Si nous cherchions à nous recentrer, nous retrouverions le cap à donner à nos existences personnelles et à notre civilisation humaine.
II. LE CHEMIN D’UNE VIE, SES PREMIERS PAS
Comment s’est-on égaré ?
Si nous nous sommes perdus, c’est tout simplement parce que nous ne sommes pas résolument également engagés dans l’aventure de la quête. La découverte de soi demande de grands efforts. Comme nous l’enseigne le conte du Petit Poucet, le premier effort consiste, se défaire des attachements, à lâcher les cailloux. Nous devons nous laisser décoloniser du dedans par toutes sortes d’images, pensées, désirs, sentiments… qui sont en nous mais pas de nous.
L’arrêt de la fuite
Que faire pour que nos tentatives de changement de vie ne soient pas vaines, qu’elles concourent en un véritable progrès d’être afin que notre chemin de vie nous mène vraiment quelque part. Chaque crise existentielle contient un avertissement et une invitation intérieure. La première étape consiste à entendre cet appel du Soi derrière le cri du moi. Nous ne sortirons de nos impasses existentielles que par l’élévation de notre conscience, le but de la vie spirituelle. « Où toutes les routes finissent, commence l’autre voyage » Christiane Singer.
Étudier les cartes
Pour commencer cet autre voyage, commençons par sortir les cartes. On ne peut marcher dans les pas du sage mais s’inspirer de son exemple pour trouver notre propre chemin. La littérature philosophique, métaphysique et spirituelle, ne nous fournira aucune réponse clé en main, mais nous pouvons y puiser l’inspiration et l’incitation à chercher en nous-mêmes ce lieu d’où proviennent ces mots qui parle si bien à notre âme. L’étude des cartes nous aidera à mieux nous repérer et à déterminer où nous voulons aller. Le fil d’Arianne se déroulera pour nous sortir peu à peu du labyrinthe de nos fausses représentations, réductrices et trompeuses pour nous conduire vers d’autres horizons.
Les réminiscences
N’a-t-on pas tous fait au moins une fois dans notre vie l’expérience de tomber nez à nez avec une phrase ou une œuvre qui nous percute en plein cœur, d’éprouver un choc esthétique ou un Euréka ? Les contenus extérieurs qui sont de véritables nourritures pour nos âmes, ont simplement de l’âme ! Nous aurions tous en nous nous les vestiges d’une sagesse originelle disparue et oubliée. Pour répondre à « Qui suis-je », tout est à chercher l’intérieur de nous.
Les percées de l’être
Durkheim disait : « Il nous est donné à tous de vivre des moments pendant lesquels survient, dans notre être profond, quelque chose de bienfaisant, de calme, qui nous rend heureux. Une chose sortant de l’ordinaire et qui pourtant se trouve en nous et en toute chose. » Ces moments « étoilés » de la vie où vous vous êtes sentis intensément « être », vrai, uni et en paix, sont de véritables « percées de l’être ». L’espace d’un instant, le mental a été libre de toute pensées permettant d’être juste complètement là, présent et hors du temps, d’être au monde d’une toute autre façon.
Intégrer les expériences miroirs
Prendre ce moment « fugace » au sérieux nous fait prendre conscience qu’une autre réalité est possible. Jung nous dit : « …aussi faut-il que l’homme qui a fait l’expérience, se mette en chemin pour devenir et être, petit à petit, celui qu’il a reconnu le temps de l’expérience. » C’est ce qu’on appelle la voie initiatique. Durkheim nous explique : « …L’homme se sent touché par quelque chose de l’au-delà… par quelque chose qui fait partie de lui-même mais qu’il a apparemment perdu et qu’il lui faut retrouver. Le chemin initiatique est cet effort systématique pour se débarrasser de ce qui cache ce tréfonds qui s’est révélé dans l’expérience. C’est le chemin qui engage l’homme dans un mouvement de transformation existentielle ayant pour base cette expérience. »
De l’expérience à l’exercice
Pour revivre l’expérience, impossible de faire l’économie de l’effort. Atteindre et demeurer dans le degré de conscience apporté par l’expérience est la fonction même de toute pratique spirituelle.
L’exercice spirituel
Se rassembler en nous-mêmes, vider notre esprit de tout ce qui l’encombre permet de nous rendre réceptifs à ce qui seul peut provenir du silence intérieur. L’exercice spirituel (la méditation, l’assise en silence, les arts…) permet à la conscience identifiée au moi de mourir pour renaître au Soi, de parvenir à un état de conscience unifié à partir duquel tout se complète et se comprend.
Trouver sa pratique
Les activités les plus propices à ce voyage libérateur sont les activités manuelles et créatives, la pratique d’un instrument musique, les activités de la nature, les pratiques de silence et de recueillement… ce n’est pas tant l’activité même que notre façon de nous y investir qui compte. Le but de l’exercice spirituel n’est pas le bien-être mais le progrès de conscience. L’exercice spirituel ne doit pas être une contrainte à laquelle on se plie docilement, mais une obligation qu’on se donne à soi-même librement. La régularité de l’effort, la justesse de l’intension et l’intensité de la force intérieure engagée dans l’exercice sont les trois conditions indispensables à tout progrès spirituel.
Les changements
La vie spirituelle, véritable travail intérieur, génère des prises de conscience qui nous font mesurer l’écart abyssal entre ce qui est et ce qui devrait être. Les personnes en voie de réalisation évoluent de relations de carence à des relations de croissance. Plus une personne est « développée », plus elle est motivée par les valeurs de l’être. Place au silence, à la lecture, à la marche, à la contemplation de la nature, aux activités méditatives, créatives ou solidaires. « Chaque âme est et devient ce qu’elle contemple » écrivait Plotin. L’exercice au quotidien nous éduque au bon emploi de notre temps et de notre attention.
La consécration
L’exercice régulier nous entraîne à nous concentrer, rassembler toutes nos forces, nos facultés, notre être, en une direction qui mérite vraiment d’être visée. L’effort de concentration concerne à la fois nos choix de vie et notre façon d’être dans tout ce qui nous est donné de vivre. De l’exercice au quotidien au quotidien comme exercice, l’effort spirituel est appelé à gagner progressivement la vie entière. Ma petite volonté va s’accorder avec la volonté de la Vie elle-même. Les bonnes portes s’ouvriront d’elle-même. Il n’y a pas de meilleur lieu pour se consacrer à la quête que celui où l’on se trouve.
Nécessité du collectif
Notre effort individuel doit pouvoir compter sur un milieu humain favorable pour se pérenniser dans le temps. Là, intervient le niveau collectif. Celui qui est venu à connaître son moi spirituel entre dans la loi de la liberté, une liberté qui ne se soucie pas que d’elle-même mais aussi de la libération de son prochain. La véritable liberté implique l’effort spirituel de trouver en son cœur le sens de ce qui est juste pour soi et pour le monde.
Perspective
Nous assistons aujourd’hui un grand réveil des intériorités. Des milliers de consciences humaines, heurtées par l’état du monde et la misère de nos existences, se mettent à chercher par elle-même et en elle-même la porte de sortie de toutes les impasses, la sortie de la caverne. Dans ce monde désenchanté, n’a-t-on jamais autant été placé dans la nécessité de nous tourner vers nous-mêmes et d’entreprendre le grand voyage intérieur vers le soi en soi.
« Il est fort possible que la décision collective d’une réforme de l’ego, vers sa spiritualisation, ne puisse intervenir qu’au moment où le malheur d’une vie sans spiritualité sera devenu intolérable » A. Bidar
« Être soi » d’Inès Weber a été pour moi un livre illuminant ! J’ai enfin trouvé les raisons qui me poussent à consulter un psy mais sans jamais identifier précisément la raison qui me pousse à le faire. Comme bon nombre d’entre nous, c’est cette envie d’être plus, de s’agrandir, d’être plus au plus proche de son « soi »… d’atteindre son inaccessible étoile intérieure. Remarquablement bien écrit, ce livre donne des pistes pour atteindre ce « Être soi », cette quête exigeante et dont il serait si dommage de faire l’économie, faute de courage et de lumière.