Résumé du livre de Jacqueline Kelen « L’esprit de solitude »
La solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu’en cet état nous nous découvrons infiniment libres et que la liberté est ce à quoi nous sommes le moins prêts. Notre époque parle très peu de cette conduite de vie solitaire qui favorise la réflexion et affermit l’indépendance, de cette solitude belle et courageuse, riche et rayonnante, que pratiquèrent tant de sages, d’artistes, de saints et de philosophe. C’est comme si cette voie était réservée à quelques originaux et tempéraments forts, comme si elle constituait l’ultime bastion de la résistance face à la bêtise, à conformisme et à la vulgarité.
1.Une vie non pareille
Tout être humain à ressenti plus d’une fois dans son existence qu’en dépit des circonstances, il est seul au monde, même s’il est bien entouré, qu’il vit en famille et que sa réussite professionnelle est bien établie. Le sentiment d’être seul avec soit même est un sentiment métaphysique qui renvoie à ce noyau impérissable et indestructible qu’on peut appeler Esprit. Lorsqu’un individu a pris contact avec ce noyau, il ne se sent plus jamais isolé ou coupé.
Vouloir étouffer le sentiment de solitude c’est s’empêcher de prendre conscience, de grandir. La souffrance est un état humain, un état d’âme et chercher à l’éviter revient à court-circuiter ses chances de découverte, d’exploration. Toute épreuve décape et dépouille les couches qui obscurcissent notre véritable Moi.
La solitude révèle le fond de l’être et le fond de l’être est d’or.
2. L’or des Mythes
Un mythe ne s’explique pas mais s’interprète ou se dévoile. Une interprétation fait entrer en résonance le monde du visible avec celui de l’invisible, pour les faire vibrer et s’accorder. Tout dévoilement invite à une ascension, à un retour à l’Etre. Les récits mythiques se proposent d’ôter les peaux qui séparent l’humain mortel de sa nature véritable qui est d’essence divine.
Ego, moi, je. L’ego est un noyau de fermeture, de préoccupation de soi qui rend l’individu épris de pouvoir et destructeur. Le moi est fait d’héritage humain et de conditionnements divers. Il reproduit les opinions, modes et préjugés des foules plutôt que de mener une recherche personnelle. Le je affirme sa différence, il se remet en question. L’Ego demeure statique, le Moi reste dépendant et esclave, et le Je est le seul capable d’éveil. Dans une société matérialiste et coupée du sacrée, l’égo et le moi surveille ou limite toute l’émergence du « je » qui conduirait à la grande et seule liberté.
3. Le goût irrésistible de la liberté
Personne ne nous apprend à être seul. Bien au contraire, l’éducation oblige l’enfant à jouer avec ses camarades, faire partie d’équipes, d’embrasser les membres de la famille, à communiquer, et à s’intégrer, ces deux poncifs tyranniques de la société contemporaine. Dépossédé de lui-même, l’être humain devient dépendant des autres. Il est prisonnier de tous ces dispositifs sociaux qui l’empêche d’être autonome et de penser par lui-même. Depuis qu’il est né, on l’a détourné de sa solitude, et il croit que sans les autres il n’est rien, se sert à rien. Il n’a pas appris à se connaître, à se faire confiance, à compter sur lui. Il est hanté par l’exclusion et va employer tous les moyens (le travail, le mariage, le sport…) pour fuir la solitude.
La légende de Mélusine qui enchanta tout le Moyen-Âge place la solitude au centre comme un noyau ensoleillé autour duquel tous les évènements pivotent. Raymondin épouse la fée Mélusine mais ne sait pas qu’elle est une fée… Elle pose une condition : que son samedi lui appartienne pour le vivre à sa guise, à l’écart, où elle est « à soi » et n’est pas la moitié d’un couple. Raymondin accepte de respecter sa liberté. Un jour, il viole son serment. Il veut s’assurer que Mélusine ne le trompe pas. Il la suit et découvre Mélusine toute seule, se baignant et heureuse d’être. Mélusine sait que son époux l’a épiée et qu’il a voulu s’emparer de son trésor de fée qui a pour nom solitude ou joie de l’âme. Elle donne une seconde chance à son époux mais quelques années plus tard, Raymondin viole son serment une deuxième fois. Cette foi Mélusine ne pardonne pas. Amer l’autre, c’est aimer la solitude à jamais étrangère, inaccessible de l’autre.
La solitude nous sauve de la médiocrité et de l’abêtissement. La traversée de la solitude débouche sur une mise au monde.
4. Toute quête est solitaire
« Plus un homme monte haut, plus nombreuses sont les privations qu’il doit s’imposer. Au sommet, il n’y a de place que pour l’homme seul. Plus il est parfait, plus il est entier ; et plus il est entier, moins il est quelqu’un d’autre que lui-même. » E Pessoa
Pascal disait : « Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au-dehors. » De fait, aux parades que chacun imagine pour éviter les questions essentielles s’ajoute le poids de tout ce qu’on répète dans les repas de famille, les messes, les bars à savoir que l’homme n’est pas fait pour vivre seul. Il est voué à reproduire les bienheureux schémas : vivre ensemble, en bande, en couple, avec des enfants…
Henry David Thoreau écrit dans Walden ou la vie dans les bois : « Je trouve salutaire d’être seul la plus grande partie du temps. Etre en compagnie, tût-ce avec la meilleure, est vite fastidieux et dissipant. J’aime à être seul. Je n’ai jamais trouvé de compagnon aussi compagnon que la solitude. Nous sommes en général plus isolés lorsque nous sortons pour nous même aux hommes que lorsque nous restons au fond de nos appartements ».
Qu’il s’agisse d’Ulysse, Robinson Crusoé, David Thoreau, Perceval dans sa quête du Graal, le héros est sujet, acteur de son histoire et non figurant. Notre appréhension de la solitude serait le signe d’une permanente lâcheté, d’une peur à frayer son chemin particulier ? Or seul compagnon de voyage avec lequel chacun est assuré de partager son existence est soi-même. Il vaut donc mieux bien le connaître afin d’éviter une défection, une trahison, une mauvaise surprise.
Alors que Narcisse vient de naître, sa mère interroge un devin sur la vie de l’enfant qui présage que l’enfant vivra vieux « s’il ne se connaît pas. » Narcisse à 16 ans et éveille le désir de ceux qui le rencontrent mais lui ne recherche que la solitude, le silence, le contact avec la nature. Narcisse en tentant d’apaiser sa soif se penche sur l’eau et tombe en extase. Il ne peut plus se détacher de cette apparition et il désire passionnément rejoindre son être profond renvoyé par le ciel. « O mon corps, mon cher corps, temple qui me sépare de ma divinité ». Narcisse a voulu aller au-delà du reflet. Il est mort à ce monde et veut retourner à sa nature divine.
La maturité commence lorsqu’un individu se sent auteur et responsable de son existence, lorsqu’il ne demande pas aux autres de le rendre heureux, lorsqu’il n’accuse pas les autres de ses propres faiblesses. « Ne te juge heureux que le jour où toutes tes joies naîtront de toi. » Sénèque
Il s’agit pour chacun de réveiller son Roi endormi et nul ne peut le faire à sa place.
5. Cavalier seul
Le besoin de reconnaissance apparaît bien comme le talon d’Achille de tout individu. Pour se sentir acceptés, la plupart des hommes préfèrent renoncer à leur liberté, leur singularité. Lorsque je déclare que je ne lis pas les journaux, que je ne regarde pas la télévision, que j’écoute peu la radio…on s’inquiète. Que reste-t-il ? Tout. La Liberté qui se décline en silence, en musique, en lecture, en amitié, en rêverie… Le bonheur ! Faire cavalier seul c’et défendre s liberté jalousement pour sauvegarder son intégrité.
Libre de tout pouvoir et de toute dépendance, le solitaire sait être heureux. Il a conscience que les jours passent vite, qu’il ne faut pas remettre à plus tard d’aimer, de rire, de connaître, de bâtir. Il apprécie autant la présence d’un ami, d’un chat, d’arbre car tout à valeur à ses yeux.
A faire cavalier seul ou « chat qui s’en va tout seul », on gagne de ne pas s’arrêter, de s’enliser. La voie solitaire et voie de nomade avec la patience fervente, la confiance, la précarité, le questionnement vivace et l’effacement qui lui sont inhérents.
6. La source créatrice
Dieu inventa le couple comme élément modérateur et le premier couple tomba dans le piège puis inventa à son tour la vie de famille qui acheva d’étouffer toute pensée d’irrévérence. Une idée divine que toutes les sociétés ont reprises à leur compte. Le couple humain et la famille s’avèrent un remède sûr contre la rébellion tapie au fond de l’homme.
La solitude offre à chacun le recul et le rassemblement des forces indispensables pour œuvrer. La prison se révéla un lieu de rédemption pour Jean Genet : « La prison, ce n’est pas la prison, c’est l’évasion, c’est la liberté. C’est là qu’on échappe à l’accessoire, qu’on est rendu à l’essentiel. »
Cervantes écrivit son chef d’œuvre, Don Quichotte, en prison à Argamisillo el Alba. Le salut ne peut venir que de la culture, de la création artistique, de l’amitié et de l’amour inaccessible et doux que figure Dulcinée du Toboso. Don Quichotte éprouve un sentiment tragique de solitude dû à son idéalisme. Il y a ceux qui vivent dans le quotidien et ceux qui vivent dans le Réel. Ces derniers sont plus souvent seul et devant eux il n’y a que l’Immense.
7. L’art d’aimer
La chance que nous offre l’amour consiste non pas à ne faire qu’un mais à devenir unique. Les épousailles avec soi, dans le secret d’une solitude fertile, permettent une alliance avec l’autre qui ne portera pas atteinte à l’intégrité de chacun. Tant que l’individu cherche à l’extérieur celui qui le complètera, qui répondra à ses manques, il ne pourra que nouer des relations intéressées ou précaires, il fera un mariage bancal. Le couple continue d’être véhiculé comme une image idéale de bonheur et d’amour alors qu’il représente une structure préférentielle à laquelle le plus grand nombre s’adapte : un compromis entre la solitude et la société. La complicité devient ligotage, l’intimité se confond avec une permanente intrusion et l’injonction de transparence a scellé la prise de possession. Qu’est-ce qui importe dans cette vie ? D’aimer ou de faire couple à tout prix ?
« L’amour est un châtiment. Nous sommes punis de n’avoir pu rester seuls. » disait Margueritte Yourcenar. L’individu perd en intensité ce qu’il acquiert en sécurité.
Le véritable élu, l’être aimé serait paradoxalement celui avec qui j’ai envie d’être seule. Tels la dame et le troubadour, ils vivent seuls et en communion. Ils ne vivent pas sous le même toit mais respire sous le ciel étoilé de l’Amour. Hjalmar Söderberg eut cette phrase terrible : « Je crois au plaisir de la chair et à la solitude irrémédiable de l’âme. ». Tout être attiré par la vie solitaire se sent un cœur bien plus vaste, un cœur presque illimité.
Le vrai solitaire n’a rien à perdre et ne cherche à rien posséder. En rencontrant des personnes diverses, il ne craint pas le jugement d’autrui puisqu’il se connaît et s’est affermi dans son état. Il ne risque pas de perdre une image de marque qui s’est déjà évaporée et ne redoute pas la déception puisque de l’autre il n’attend nulle gratification mais avant tout le plaisir de la découverte, le goût de l’échange. Et ainsi il peut aimer l’autre d’être l’autre. Un solitaire n’est jamais seul.
8. Le grand retirement
Un trait essentiel de la philosophie antique est cette solitude pourvoyeuse de liberté et se retrouvera chez les ermites chrétiens. L’ermite se fait oublier de ses contemporains et travers son époque discrètement. Le désert apprend l’humilité. Théodore Monod n’a cessé de témoigner de cette expérience unique où l’homme se simplifie et se verticalise. « Nous voici enfin seul avec le réel, la vérité. » Lao Tseu : « Le sage s’afflige de ne pouvoir pratiquer la vertu parfaitement. Il ne s’afflige pas de n’être pas connu des hommes. »
Les solitaires se comprennent très vite et n’ont pas besoin d’échanger beaucoup de mots pour s’entendre. Ayant approché l’essentiel, ils ne vont pas discuter sur des broutilles.
La mission de l’homme sur la terre consiste à faire émerger, à faire fleurir ce sacré en tous lieux, jusqu’à ce que la vie le corps, le monde n’en soient plus dissociés et de semer sur ses pas tout l’or recueilli dans la solitude.
9. De l’exil à l’absolu
Les Saints, les héros, les mystiques sont souvent seuls. Les événements, les paroles sont toujours à double entente : il y à l’aspect extérieur accessible à tous, et l’amande, le secret, l’aspect intérieur qui s’appelle Gnoses et que certain, plus attentifs ou éveillés, perçoivent.
Maitre Eckhart qui enseigna à Cologne et à Paris (1260-1328) parle de « détachement limpide », de « déprise » qui permettent de prendre congé du monde et de faire retour à l’Un. « L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon œil et l’œil de Dieu sont un seul et même œil, une seule et même vision. » « Il vaut beaucoup mieux se taire au sujet de Dieu que de parler de lui », insiste Maître Eckhart. Ce silence observé par l’homme spirituel est un retrait, un retirement où Dieu peut prendre toute la place.
Dans toute société, le solitaire est celui qui empêche de tourner en rond, qui empêche de s’endormir. Sa solitude est une blessure autant qu’une épée. Toute solitude est une voix qui crie ou une voix qui se tait dans le désert des hommes. Elle n’annonce pas une destruction ni un malheur, elle invite à entendre ce qui ne passe pas, elle ouvre la porte du mystère.
Il y a en chacun de nous une solitude qui est ce que nous avons de plus précieux. Une solitude inaliénable, magnifique, qui est la solitude même de l’Esprit.
Un état d’heureuse plénitude, clé de la vie intérieure et créative.
Il n’y a pas de liberté de l’individu sans cet ermitage du cœur.
Laurence de Vestel – ©Oltome.com 2008
« L’esprit de solitude » de Jacqueline Kelen est un véritable petit bijou ! Un livre doux, libérateur et déculpabilisant… En effet, la solitude est si souvent perçue comme état de tristesse, une fatalité, un enfermement. Ainsi, il est parfois bien compliqué d’expliquer combien la solitude peut être savoureuse. Combien elle peut favoriser un état de plénitude propice à la construction et à l’agrandissement de soi. L’esprit de solitude permet une ouverture et une disponibilité pour retrouver les clés de notre vie et de notre vraie liberté. Remarquablement bien écrit !
Jacqueline Kelen a conquis un large public, en 2001, avec ce livre. Il ne faut pas nécessairement vivre seul pour entrer dans la voie qu’elle défend. L’essai s’ouvre sur une déclaration : « La solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu’en cet état nous nous découvrons infiniment libres et que la liberté est ce à quoi nous sommes le moins prêts. » Magnifique prologue sur la solitude qui fait « tenir debout, avancer, créer ». Solitaire, Jacqueline Kelen l’est, « pour honorer la précarité humaine et ne pas démériter de l’Esprit ».