Thoreau fit son épique expérience d’autosuffisance sur les rives du Lac Walden à Condor, au Massachussetts, à une trentaine de kilomètres seulement de Boston durant deux années, de 1845 à 1847. C’est là qu’il développa ses idées explosives de désobéissance civile qui devaient tant marquer Gandhi, Martin Luther King et encore bien d’autres.
« Je suis parti dans les bois parce que je désirais vivre de manière réfléchie, affronter seulement les faits essentiels de la vie, voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu’elle avait à m’enseigner, et non pas découvrir à l’heure de ma mort que je n’avais pas vécu. Je ne désirais pas vivre ce qui n’était pas une vie, car la vie est très précieuse, je ne désirais pas davantage cultiver la résignation, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Je désirais vivre à fond, sucer toute la moelle de la vie, vivre avec tant de résolution spartiate que tout ce qui n’était pas la vie serait mis en déroute… »
EXTRAITS
Économie
« La plupart des hommes, même dans ce pays relativement libre, par simples ignorance et erreur, sont si obnubilés de soucis illusoires et des durs travaux de la vie qu’ils ne parviennent pas à en cueillir les plus beaux fruits… Il n’a pas le temps d’être autre chose qu’une machine. »
« Le pire de tout, c’est d’être à la fois son propre gardien et l’esclave… Parlez-moi donc du caractère divin de l’homme ! Regardez le charretier sur la grand-route… Voyez-le trembler de peur et courber l’échine, tout le jour assailli de craintes vagues car il n’est ni immortel ni divin, mais l’esclave et le prisonnier de l’opinion qu’il a de lui-même, de la réputation qu’il doit à ses seuls exploits. L’opinion publique est un piètre tyran, comparée à l’opinion que nous avons de nous-mêmes. Ce qu’un homme pense de lui-même, voilà ce qui détermine, ou plutôt indique, son destin. »
« La plupart des hommes mènent une existence de désespoir tranquille. Ce qu’on appelle la résignation est un désespoir absolu. Un désespoir répétitif mais inconscient se cache même sous ce qu’on appelle les jeux et les distractions de l’humanité. »
« Les philosophes de l’Antiquité, Chinois, Indous, Persans et Grecs, étaient des hommes plus pauvres que quiconque pour les richesses extérieures, et plus riches pour la vie intérieure… Personne ne saurait être un observateur impartial ou sage de la vie humaine, sinon en se situant du point de vue de ce que nous devrions nommer la pauvreté volontaire. »
« Quand un homme a obtenu ces choses nécessaires à la vie, plutôt que de convoiter le superflu il peut faire un autre choix : essaie de s’aventurer maintenant dans la vie, car il est désormais en vacances de son plus humble labeur. Pourquoi l’homme s’est-il ainsi fermement enraciné dans la terre, sinon afin de s’élever dans la même proportion vers le ciel ? »
« J’ai à l’esprit cette classe de gens qui semblent riches, mais sont en réalité affreusement pauvres, qui ont accumulé de vils trésors, mais ne savent ni comment les employer ni comment s’en débarrasser, et qui ont ainsi forgé leurs propres chaines d’or ou d’argent. »
« Mon but, en rejoignant Walden, était dit démarrer une affaire privée avec aussi peu d’obstacles que possible. »
« La plupart des gens s’inquiètent davantage d’arborer une tenue à la mode, ou du moins propre et sans ravaudages que d’avoir un esprit sain. »
« Nos maisons sont des biens si peu pratiques que nous y sommes plus souvent emprisonnés qu’abrités : et les voisins désagréables qu’on aimerait éviter sont nos propres turpitudes… si bien que seule la mort les libèrera… Si la civilisation a amélioré nos maisons, elle n’a pas amélioré en même temps les hommes supposés les habiter. Elle a créé des palais, mais il n’a pas été aussi facile de créer des nobles et des rois. »
« La plupart des hommes semblent n’avoir jamais réfléchi à ce qu’est une maison, et ils endurent toute leur vie une pauvreté aussi réelle qu’inutile, car ils sont convaincus qu’ils doivent en avoir une semblable à celle de leurs voisins. »
« Voici que les hommes devinrent les outils de leurs outils ! L’homme qui cueillait à sa guise les fruits quand il avait faim devint fermier, et celui qui s’abritait sous un arbre, maître de maison. »
« Ce qui exige le plus d’argent n’est jamais ce dont l’étudiant a le plus besoin. Les frais d’instruction, par exemple, constituent une dépense importante alors que pour le bénéfice beaucoup plus grand qu’il tire de la fréquentation de ses contemporains les plus cultivés, on n’exige de lui aucun argent. »
« Les étudiants ne devraient pas jouer à la vie, ni se contenter de l’étudier, mais la vivre réellement du début jusqu’à la fin. Comment des jeunes pourraient-ils mieux apprendre à vivre, sinon en se lançant d’emblée dans l’expérience de la vie ? Observer le monde à travers un télescope et jamais avec ses propres yeux, étudier la chimie sans apprendre comment on fait le pain, découvrir de nouveaux satellites de Neptune et ne pas être capable de voir la paille dans son œil, être dévoré par les monstres qui grouillent autour de lui tandis qu’il étudie ceux qui infestent une goutte de vinaigre. Lequel des deux aurait le plus avancé à la fin du mois : le garçon qui a fabriqué son propre couteau de poche avec le minerai qu’il a extrait et fondu en lisant tout ce qui est nécessaire à ces processus, ou le garçon qui a suivi les conférences sur la métallurgie, puis a reçu de son père un canif Rodgers ? »
« Le voyageur le plus rapide et celui qui va à pied. Voyons donc qui arrivera là-bas le premier. La distance à parcourir est de 30 miles et le prix du billet, 0,90 €, le salaire d’une journée de travail. Je pars à pied dès maintenant et serais arrivé avant la nuit. Pendant ce temps-là vous aurait gagné de quoi vous payer ce billet et vous arrivez là-bas demain ou peut-être ce soir si vous avez de la chance de trouver tout de suite un travail… Ainsi, lorsque les chemins de fer feront le tour du monde, …ceux qui auront gagné de quoi payer leurs billets pourront voyager en train, à condition de vivre assez longtemps, mais à ce moment-là ils auront probablement perdu leur élasticité et tout désir de voyager. »
Où j’ai vécu et pour quoi j’ai vécu
« On estime la richesse d’un homme au nombre de choses qu’il peut se permettre de laisser de côté. »
« À propos des paysages, je suis le souverain de tout ce que j’arpente, et nul ne pourra m’en disputer le droit. »
« Vivez libres et sans entraves le plus longtemps possible. »
« Chaque matin était une joyeuse invitation à rendre ma vie tout aussi simple et, dirais-je, aussi innocente que la nature elle-même. »
« Simplicité, simplicité, simplicité ! Je vous le dis, que vos affaires se réduisent à deux ou trois et non une centaine ou un millier : à la place de millions comptez demi-douzaine, et tenez vos comptes sur l’ongle d’un pouce. »
« Pourquoi devrions-nous vivre dans une telle hâte en gaspillant nos vies ? … Je n’ai jamais reçu en cette vie plus d’une ou deux lettres qui méritaient d’être postées. Et je suis certain de n’avoir jamais lu la moindre nouvelle mémorable dans un journal. Et nous n’avons jamais besoin de lire un autre journal. Un seul suffit. »
« Le prédicateur, au lieu de rebattre les oreilles des fermiers somnolents pendant leurs jours de repos à la fin de la semaine, devrait s’écrier d’une voix tonnante : « Arrêtez ! N’avancez plus ! A quoi bon cette hâte apparente, alors que vous êtes d’une mortelle lenteur ? »
« Le temps n’est que la rivière où je m’en vais pêcher. Je bois son eau : et tout en buvant, je vois le fond sablonneux et remarque comme il est peu profond. Son faible courant entraîne toute chose, mais l’éternité demeure. J’aimerais voir plus profond : pêcher dans le ciel, dont le fond caillouteux est semé d’étoiles. »
Lire
« En réfléchissant un peu plus sagement au choix de leurs projets, tous les hommes deviendraient peut-être des étudiants et des observateurs pour l’essentiel, car tous s’intéressent à leur nature et à leur destin. »
« Lire bien, c’est-à-dire lire de vrais livres dans l’esprit adéquat, est un noble exercice, une activité qui exige davantage de peine du lecteur que n’importe quel autre exercice prisé par les coutumes du jour. Cela demande un entraînement semblable à celui que supportent les athlètes, la détermination inébranlable de presque toute une vie. Il faut lire les livres avec autant de soin et d’attention qu’on a mis à les écrire. »
Bruits
« Aucune méthode ni aucune discipline ne remplace la nécessité d’être sans cesse en éveil… Lisez votre destin, voyez ce qui est devant vous, et marchez droit vers l’avenir. »
« Ma vie elle-même était devenue ma distraction et elle ne cessait jamais de se renouveler. Si vraiment nous trouvions toujours de quoi vivre et réglions sans cesse notre existence selon la dernière et meilleure façon que nous avons apprise, jamais nous ne connaitrions l’ennui. Suivez votre génie d’assez près, il ne manquera jamais de vous montrer à chaque heure une perspective inédite. »
Le village
« Je suis convaincu que, si tous les hommes devaient vivre aussi simplement que moi à cette époque, les vols et les cambriolages nous seraient inconnus. On déplore seulement ces délits dans les communautés où certains possèdent plus qu’il n’est suffisant tandis que d’autres n’ont pas assez. »
« Vous qui êtes en charge des affaires publiques, quel besoin avez-vous d’user de châtiments ? Aimez la vertu, et le peuple sera vertueux. Les vertus d’un homme supérieur sont comme le vent : les vertus d’un homme du commun sont comme de l’air : quand le vent passe sur elle, l’herbe ploie »
Les lacs
« Le lac Blanc et Holden sont de splendides cristaux à la surface de la terre, des lacs de lumière. S’ils étaient glacés en permanence et assez petits pour qu’on puisse les saisir dans la main, ils seraient peut-être emportés par des esclaves, telles des pierres précieuses, pour décorer la tête des empereurs : mais parce qu’ils sont liquides et vastes et que leur présence nous est assurée ainsi qu’à nos successeurs et à jamais, nous les méconnaissons et courons après le diamant Doh-i-Noor. Ils sont trop purs pour avoir une quelconque valeur marchande : ils ne contiennent aucun fumier. Comme ils sont plus beaux que nos vies, plus transparents que nos personnalités ! Nous n’avons jamais appris d’eux la moindre médiocrité. Et qu’ils sont plus plaisants que la marre devant la porte du fermier, où barbotent ses canards ! Ici, ce sont d’impeccables canards sauvages qui viennent. La nature n’a pas d’habitants humains pour l’apprécier à sa juste mesure. Les oiseaux, leur plumage et leurs champs, sont en harmonie avec les fleurs, mais quel jeune homme ou quelle jeune fille concourt avec la beauté sauvage luxuriante de la nature ? Elle s’épanouit au mieux dans la solitude, loin des villes où ils résident. Parlez-moi donc du ciel ! Vous déshonorez la terre. »
La ferme Baker
« La seule vraie Amérique est ce pays où vous avez la liberté de choisir le mode de vie qui vous permet de vous passer de toutes ces choses, et où l’Etat n’essaie de vous obliger à soutenir l’esclavage, la guerre et autres dépenses superflues qui directement ou indirectement résultent de l’emploi de ces choses. »
Des lois plus élevées
« Une fois passé l’âge irréfléchi de l’enfance, aucun être doté d’un tant soit peu d’humanité ne voudra tuer gratuitement une créature qui a réussi reçu la vie de la même entité que lui. »
« Chaque année je suis moi pêcheur… il y a quelque chose de foncièrement sale dans ce régime alimentaire et dans toute chair. Dans mon cas, l’objection essentielle aux aliments d’origine animale était leur malpropreté ; de plus, quand j’avais attrapé, vidé, nettoyé, cuit et mangé mon poisson, je n’avais pas la sensation qu’il m’avait réellement nourri. Insignifiant et superflu, il me coûtait davantage qu’il ne valait. Un peu de pain ou quelques pommes de terre auraient aussi bien fait l’affaire, au prix de moins de souci et de saleté… »
« La répugnance qu’on éprouve envers les aliments d’origine animale ne résulte pas de l’expérience mais de l’instinct. »
Printemps
« J’aperçus un faucon. C’était le vol le plus éthéré que j’ai jamais vu. Il n’avait apparemment aucun compagnon dans tout l’univers et nul besoin d’en avoir le moindre hormis le matin et l’éther avec quoi il jouait. Il n’était pas solitaire, mais le voir ainsi toute la terre sous lui semblait solitaire. Où était la mère qui l’avait engendré, ses frères, et son père dans les cieux ? Cet habitant de l’air paraissait seulement relié à la Terre par l’œuf couvé un temps dans la faille d’un rocher. »
Conclusion
« L’univers est plus vaste que les conceptions que nous en avons. »
« Tourne ton regard vers toi-même, et tu découvriras mille régions encore inconnues dans ton esprit. Sillonne-les et devient expert en cosmographie du chez-toi. »
« Quelle que soit la médiocrité de votre vie, acceptez-la et vivez-la ; ne l’esquivez ni ne l’insultez… Aimez votre vie, aussi pauvre soit-elle… Ne vous inquiétez pas trop d’obtenir de nouvelles choses, que ce soit de vêtements ou des amis. Tournez les anciens, retournez vers eux. Les choses ne changent pas, c’est nous qui changeons. Vendez vos habits, gardez vos pensées. Dieu veillera à ce que vous ne manquiez pas de compagnie. Ne cherchez pas si avidement à vous développer, à vous soumettre à de nombreuses influences pour être joué : ce n’est que dissipation. »
« Soyez un Christophe Colomb pour des continents et des mondes entièrement nouveaux situés à l’intérieur de vous-mêmes, ouvrez de nouvelles voies navigables, non pas pour le commerce, mais pour la pensée. »
« Walden ou la vie dans les bois » de Henri David Thoreau… Un chef d’oeuvre que j’ai lu d’après les conseils de Cyril Dion (auteur du livre et du film « Demain ») : « S’il y a un livre à lire dans sa vie c’est Walden ». La lecture n’est pas vraiment aisée. David Henri Thoreau disait « Lire bien, c’est-à-dire lire de vrais livres dans l’esprit adéquat, est un noble exercice, une activité qui exige davantage de peine du lecteur que n’importe quel autre exercice prisé par les coutumes du jour. Cela demande un entraînement semblable à celui que supportent les athlètes, la détermination inébranlable de presque toute une vie. Il faut lire les livres avec autant de soin et d’attention qu’on a mis à les écrire. » Oui, j’ai lu tout Walden, et j’en suis fière comme si j’avais fait un marathon. Mais la récompense est au bout du chemin.
En effet ! Quel livre ! Henri David Thoreau est un vrai penseur qui a été capable de prêcher par l’exemple en tournant son regard sur lui-même pour y découvrir toutes les régions de son esprit. « Je suis parti dans les bois parce que je désirais vivre de manière réfléchie, affronter seulement les faits essentiels de la vie, voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu’elle avait à m’enseigner, et non pas découvrir à l’heure de ma mort que je n’avais pas vécu. Je ne désirais pas vivre ce qui n’était pas une vie, car la vie est très précieuse, je ne désirais pas davantage cultiver la résignation, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Je désirais vivre à fond, sucer toute la moelle de la vie, vivre avec tant de résolution spartiate que tout ce qui n’était pas la vie serait mis en déroute… ». Livre à lire d’urgence !